La Dafne, nouvelle trouvaille de Mars en Baroque
Créé en 1608 à Mantoue, La Dafne de Marco da Gagliano fait partie de la préhistoire de l’opéra, ayant été écrit juste après L’Orfeo de Monteverdi et au même endroit. Cette favola in musica (fable musicale) reprend d’ailleurs comme l’Orfeo un sujet mythologique, à savoir le mythe d’Apollon et Daphné tel que rapporté dans les Métamorphoses d’Ovide. Les historiens de l’opéra rappellent que le livret du poète Ottavio Rinuccini avait déjà servi de terreau à Dafne (sans article) de Jacopo Peri, considéré par certains comme le tout premier opéra mais dont la partition a été perdue.
Il était donc tout naturel que le Festival Mars en baroque, qui a régulièrement monté des opéras baroques très peu connus du public mais d’une grande qualité musicale, s’attèle à faire découvrir La Dafne au public du Théâtre de la Criée. Sur la scène marseillaise, pas de véritable mise en scène mais une disposition rappelant les salons du Duc de Mantoue (le vrai) avec un quintette de chaque côté, le chœur des pasteurs & des nymphes, et les dieux en aplomb sur une estrade.
À la tête de son Ensemble Concerto Soave, Jean-Marc Aymes assure depuis son clavecin une direction en place, discrète et efficace. Les instruments d’époque font entendre des timbres authentiques et notamment le très exotique cornet à bouquin rappelant le début du XVIIe siècle. L’équilibre des deux quintettes avec un clavier de chaque côté permet de bien occuper l’espace de la grande salle de la Criée, le tout avec un équilibre très audible lors du combat entre Apollon et Python, retranscrit en une "bataille" orchestrale entre les deux sous-ensembles.
L’œuvre de Marco da Gagliano fait intervenir un chœur de pasteurs et de nymphes commentant l’action et au cœur duquel se distinguent différents solistes. Au-delà des performances de ces derniers se succédant pour réciter le livret de Rinuccini, ce sont les moments de polyphonie, chœurs et duos, émaillant l’œuvre qui se distinguent par leur harmonie et leur musicalité. Les nymphes sont incarnées par Pilar Alva Martin, dont la voix brille par son agréable légèreté moqueuse, et par Marie-Frédérique Girod, dont le timbre plus rond ne s’avère pas moins céleste.
Le baryton Samuel Namotte, déjà présent l’an dernier dans La Querelle des Dieux, campe un pasteur convaincant, à la voix bien placée. Autre pasteur, le ténor Benjamin Ingrao a une partition un peu plus conséquente : son instrument léger privilégie surtout délicatesse et expressivité. Enfin, le baryton-basse Imanol Iraola ne se contente pas de ravir le public par sa projection assurée, ses graves solides et ses amples legati : il assure également la partie de percussions (et notamment de castagnettes) très remarquée.
Dans le rôle de Dafne, beaucoup plus mineur que ce que le titre de l’opéra pourrait laisser deviner, Gabrielle Varbetian fait montre d’une fraîcheur et d’un aplomb remarqués. La ligne de chant est sans faille et la longueur de souffle enthousiasmante. Davy Cornillot endosse le rôle pour castrat de Tirsi, un rôle délicat à la limite du registre de voix de poitrine et du falsetto. Fragile sur certains aigus, le ténor apporte musicalité et sensibilité à son personnage, notamment lorsqu’il narre la métamorphose de Daphné en laurier.
Maria Cristina Kiehr, cofondatrice du Concerto Soave, tient le rôle de Vénus (Venere) et assure également une partie de l’introduction réservée dans le livret au rôle d’Ovide. Sa voix légère, très claire et cristalline épouse les contours rassurants d’une mère tentant d’apaiser son enfant, Amore. Ce dernier est interprété par le contre-ténor Nicolas Kuntzelmann (récent finaliste du Concours international de chant baroque de Froville avec Imanol Iraola). Son timbre tantôt clair tantôt aimablement capricieux porte la malice et la fantaisie du capricieux archer de l’amour.
Enfin dans le rôle central d’Apollo, le baryton Romain Bockler fait preuve d’une grande expressivité. La projection est assurée, lumineuse, le souffle ample, et la diction épouse à merveille les contours du rôle. Moqueur, prétentieux et surplombant lors de son apparition, dans des interventions dignes d’un opera buffa, l’artiste adaptera son timbre pour pleurer la disparition de Daphné, lors d’un solo laissant la part belle à de périlleuses ornementations vibrées.
Le public, aussi séduit que le Dieu du soleil par Daphné, applaudit chaleureusement et pourra retrouver jusqu’au 3 avril d’autres œuvres contemporaines de La Dafne au Festival Mars en baroque (et sur Ôlyrix).