Damien Pass et Alphonse Cemin, lundi musical éclectique à l’Athénée
Le baryton-basse Damien Pass poursuit sa collaboration avec le pianiste Alphonse Cemin en proposant un programme varié, étalé sur trois siècles (XIXe, XXe et XXIe), faisant entendre la musique de trois continents (Europe, Amérique et Australie) et présentant des univers musicaux éloignés : le romantisme de Schubert et de Liszt côtoie la comédie musicale de Sondheim ainsi que les chansons populaires australiennes. Cette diversité est pleinement assumée par les artistes qui s’en amusent, l’essentiel étant de raconter des histoires. Pour cela, Damien Pass se révèle un conteur hors pair et, à travers toutes les pièces choisies, c’est aussi un peu son histoire qu’il raconte.
Ses origines australiennes et son enfance dans une ferme au son de la musique country sont évoquées dans les quatre chansons australiennes arrangées par Arthur Lavandier (compositeur membre de l'Ensemble Le Balcon habitué des lieux et dont fait également partie Alphonse Cemin). Les deux extraits de la comédie musicale Into the woods de Stephen Sondheim rappellent qu'il fut d'abord tourné vers le théâtre mais que sa sensibilisation au répertoire classique se fit en écoutant des crooners. Le Lied et la mélodie se sont ensuite imposés, lui permettant d’aller plus loin dans l’interprétation de personnages variés et dans la narration (pour ses programmes, il choisit le texte avant la musique). Le chanteur prend ainsi un plaisir évident à interpréter des pièces au texte étoffé de plusieurs couplets : The Crocodile de Benjamin Britten, Le pas d’arme du roi Jean de Camille Saint-Saëns, Gastibelza de Franz Liszt, An Schwager Kronos de Franz Schubert. Le bonheur est à son comble lorsqu’il peut changer de personnages à l’intérieur d’un même Lied, la mère et le fils dans Edward de Carl Loewe ou bien le narrateur, le père, le fils et le roi des Aulnes dans Erlkönig de Schubert, Lied qui le toucha particulièrement lorsqu’il l’entendit pour la première fois à 15 ans. L’Invitation au voyage de Duparc emporte l’auditoire « dans ce récital aux allures de voyage » et, à travers Baudelaire, fleuron de la littérature française, il rend hommage au pays où il a élu domicile.
C’est dans un français impeccable que Damien Pass livre les mélodies du programme. Les surtitrages n’apparaissent que lorsqu’il chante en anglais ou en allemand, l’auditoire pouvant alors profiter pleinement des histoires qu’il évoque. Véritable conteur, sa voix emprunte mille colorations donnant vie aux personnages et faisant surgir différentes émotions. Dans Erlkönig, sa voix s’incorpore vers le grave pour le père, s’allège lorsque le fils intervient, et se transforme avec des résonances placées vers l’avant pour figurer le diabolique Roi des Aulnes. Edward répond aux questions pressantes de sa mère dans un crescendo d’intensité, de la sidération (il a tué son père) à la violente colère (parricide voulu par sa mère). Le texte étant une priorité, les phrasés de Duparc ne sont pas totalement soutenus, néanmoins son discours reste chargé d’une émotion touchante et sincère. L’art du baryton-basse réside dans un équilibre de chaque instant entre théâtralité et sobriété, charme et sérieux. Il envoie des baisers de prince charmant dans Any moment de Sondheim et, dans l’instant qui suit, investit le monologue dépouillé du Doppelgänger (le double) de Schubert avec une intensité dramatique impressionnante.
Le pianiste Alphonse Cemin (également Directeur artistique de ces lundis musicaux) est un compagnon de longue date et les deux artistes partagent leur inventivité au service de l’expression et de la narration.
Pour remercier le public qui les ovationne, ils offrent en triple bis trois chansons d’Erik Satie (La Statue de bronze, Daphénéo et Le Chapelier), les Escargots de Prévert et Kosma où la poésie et l’ironie sont idéalement rendues et « Everybody says don’t » extrait d'Anyone can whistle de Sondheim : crooner forever !