Chorus Line #8 : Danse avec les mots et la mort à Radio France
Lionel Sow, ce soir chef invité, anticipe de manière fort prometteuse sa prise de fonctions comme Directeur musical de ce Chœur de Radio France en septembre prochain. Il dirige sur un petit rectangle de moquette noire, restant ainsi à hauteur du sol (tout en ayant des appuis sur ce plancher). Loin donc de se percher sur l'estrade de ses hautes fonctions à venir, il laisse les choristes s'installer sur les travées de cet Auditorium, dans une configuration rappelant que le chœur est le centre de ce concert.
Les gestes élégants et amples du chef obtiennent déjà un son à l'avenant, dont il encourage et guide les phrasés et les expressions, variées et seyantes pour les différents caractères des morceaux. Le Chœur dresse ainsi le portrait même du programme : celui des différents visages de la mort, du tragique au serein. Les chanteurs affirment également les caractères de leurs pupitres (quoiqu'avec des aigus serrés) : les femmes ont la justesse déliée des chants religieux, les hommes les profondeurs des chants de moines et les résonances des chants de marins.
Le deuxième pôle musical, situé côté Cour, réunit cuivres et timbales en quintette. Les trois trompettes et le trombone sont en difficulté avec les attaques et articulations, alors que David Dewaste, jouant assis, très près de ses timbales proches du sol, renforce d'autant sa grande et précise délicatesse, sans nullement limiter les éclats marquants qui scandent notamment les Funeral Sentences for the Death of Queen Mary (fameuses pour la réinterprétation psychédélique dans le film Orange mécanique).
En vis-à-vis et dans les autres sections musicales religieuses, l'organiste Yves Castagnet (titulaire de l'orgue de chœur de la Cathédrale Notre-Dame de Paris) offre l'évidence instrumentale d'un soutien cérémoniel.
Les différentes interventions de la flûtiste Juliette Hurel, placée en soliste à l'avant-scène côté Cour, parcourent un répertoire allant du baroque au contemporain, en une démonstration technique : avec grande longueur de souffle et de phrasé, elle offre des glissandi faisant oublier que cet instrument est forgé pour émettre les hauteurs fixes et séparées de la gamme. La technique d'embouchure et de souffle de l'artiste bannit ces limitations, comme elle convoque les couleurs des instruments de l'Orient.
Entre les morceaux voire des sections de morceaux, le rappeur Abd al Malik assis côté Jardin derrière un micro récite des textes avec d'étonnants maniérismes : sa surarticulation avec des "r" grasseyés très roulés rappelle les chansonniers d'autrefois tandis que son timbre claironnant pincé en fin de phrases le rapproche d'un tambour de ville, le tout pour déclamer un texte Biblique (dans son vocabulaire, ses anaphores et épiphores), alors qu'il s'agit d'aphorismes d'Angelus Silesius inspirés de la danse macabre de Lübeck.
Le programme musical construit autour de la Totentanz montre donc différents visages sonores, tandis qu'une illustration visuelle de ce thème a été préparée par des étudiants de l’École d’Estienne. Malheureusement, les images animées qu'ils ont conçues n'ayant pas fait l'objet d'un mapping (adaptation à la surface de projection), elles ne sont visibles qu'en partie : une moitié ou un tiers de la vidéo est visible sur le mur plat au fond de l'Auditorium tandis que le reste se perd sur les sièges de l'arrière-scène. Les jeunes illustrateurs laissent néanmoins deviner leurs inspirations lointaines (squelettes à nez de clown dansant avec une geisha à nez de clown également, ou un jeune romantique typique).
Ils viennent saluer et recevoir, comme il se doit et comme les autres artistes, les applaudissements d'un public ravi.