Ouverture du Festival Arsmondo Tsigane par l’Opéra Studio du Rhin
Pour sa cinquième édition, le Festival Arsmondo (festival interdisciplinaire consacré aux cultures du monde, convoquant musique, arts visuels, arts plastiques et littérature) jusqu’alors dédié à des cultures lointaines comme le Japon ou l’Inde, se tourne vers la culture « transnationale » d’un « peuple aux mille visages », comme le souligne le Directeur général de l’Opéra du Rhin Alain Perroux.
Ce premier concert du Festival opère une subtile transition entre l’art lyrique (du genre opératique) et celui traditionnel, de transmission exclusivement orale de la musique tsigane : les airs et duos d’opérettes choisies des compositeurs austro-hongrois esquissent en effet de manière imaginaire l’univers tsigane, à travers des personnages souvent caricaturaux, des musiques et des danses qui sont aussi d’inspiration hongroises. Étalé sur cinquante ans seulement, de La Chauve-Souris (1874) et du Baron tzigane (1885) de Johann Strauss fils à Comtesse Maritza (1924) du compositeur hongrois Emmerich Kálmán en passant par La Veuve joyeuse (1905) et L’Amour Tzigane (1910) de Franz Lehár, également hongrois, le programme met en lumière la fascination des compositeurs et de la société bourgeoise de l’époque pour la culture tsigane et l’idéal de liberté qu’elle incarne. Sandrine Abello, Directrice musicale de l’Opéra Studio précise que ce concert résulte à nouveau d’une masterclasse d’une semaine, menée par l’organiste et chef d’orchestre alsacien Claude Schnitzler présent au fond de la salle.
Le baryton Damien Gastl dévoile d’emblée une grande force vocale et une posture affirmée, maniant avec justesse le pathos par ses légers rallentandi et un fin tremblement de voix à l’aspect rustique. En duo (avec Lauranne Oliva), malgré une légère fatigue vocale, une émotion sincère émane de son jeu, ses crescendi redoublant d’intensité.
De plus en plus ample et sonore au fil des Heures Lyriques de cette année, la voix de la mezzo-soprano Liying Yang colore ses interprétations de mimiques expressives, fronçant les sourcils, prenant à partie le public. Moins à l’aise dans les duos, ses aigus n’en demeurent pas moins puissants et ses graves doucement rugueux.
Elsa Roux-Chamoux aborde avec grande assurance et détente les contrastes propres aux airs d’opérette. Sans faiblir dans la précision de la prononciation, la mezzo-soprano excelle dans l’alternance de tempo et de caractère entre les mouvements lassan (lent) et friska (rapide) propres aux czardas hongroises et aux danses tsiganes. Parfois cinglants, ses aigus se fondent en un fortissimo presque sauvage et tout à fait à propos dans l’air "Hör’ich Cymbalklänge", embrasant ainsi la salle entière. Soignant à tout moment les contours mélodiques, elle donne à entendre tour à tour des vocalises brillantes et des mélismes coulants.
La soprano Lauranne Oliva saisit par ses aigus finement ciselés, mais qui laissent un peu dans l’ombre les médiums, peu sonores. Si la prononciation est encore à travailler, un soin tout particulier est apporté à la ligne mélodique, concentrée, toute en nuance, et au rallentando délicieusement suspendu, laissant le public subjugué.
Une place de choix est donnée aux pianistes Levi Gerke et Rosa Ji-Hyun Kim qui accompagnent non seulement chacun des airs mais introduisent également certains d’entre eux par des réductions pour piano à quatre mains des parties orchestrales des opérettes. Sous leur toucher souple, les deux pianistes, dont les corps tressautent et se contorsionnent sous l’effet des croisements de mains, font vibrer le piano entier, y compris la pédale, qui devient percussion dans les accelerandi.
En fondu enchaîné avec le dernier air, les artistes s’élancent dans un bis rebondissant, invitant le public, ravi, à applaudir à son tour, faisant ainsi écho au « Bravo » de la czardas de Kálmán.