Les Pelléas et Mélisande au Liceu de Barcelone
Après La Dame de Pique (nous y étions) en ouverture de l'année qui marque ses 175 ans et avant son grand concert anniversaire (nous y serons) avec Sondra Radvanovsky, Lisette Oropesa, Iréne Theorin, Joseph Calleja et Ludovic Tézier remplaçant Anna Netrebko, le Liceu met à l’affiche Pelléas et Mélisande de Debussy dans la mise en scène du catalan Àlex Ollé, inaugurée à Dresde en 2015. Cette mise en scène est moderne, mais préserve l'univers onirique et symboliste du livret. Les héros du récit de Maeterlinck habitent une maison tournante à deux étages et aux nombreuses pièces, couvertes par une toile plissée transparente en guise de mur. Les changements de décors sont obtenus par les jeux de lumières, l’éclairage montrant tantôt la maison et ses occupants, tantôt les rochers d'un lac (un bassin d'eau est installé sur scène) ou bien une forêt d’arbres fins et métalliques. Sur le plateau plongé dans la nuit, les lieux et les pièces illuminées apparaissent comme les compartiments cachés d'un esprit, avec ses secrets qui se dévoilent. La narration d’Àlex Ollé est structurée autour d'une famille où la tradition se perpétue d'une génération à l'autre. Toute la lignée masculine (Arkel-Golaud-Pelléas) porte des longs cheveux blancs, comme pour se confondre en autant de Pelléas multiples, soulignant combien tous les hommes ont en commun leur passion pour Mélisande. D’autant que celle-ci est rendue unique, par les transformations physiques qu’elle subit au long du drame, mais pour revenir à son état identique à la fin comme au début (cheveux courts, robe rouge, enceinte), refermant ainsi un cercle de la vie (une lecture cyclique du drame que cette production partage avec bien d’autres). Nombre d’énigmes entourant cette famille (royale) restent sans réponse -comme dans le texte de Maeterlinck- mais les rapports de force sont soulignés entre féminin et masculin, vie fertile et mort, licence variée et rigueur uniforme.
Le ténor Stanislas de Barbeyrac incarne Pelléas (qu'il prit à Bordeaux) avec un large ambitus, stable et bien posé de tous ses côtés. Le phrasé élégant s'appuie sur une articulation loquace et ronde, proche du français parlé. La projection est pure et droite, ancrée dans une assise nourrie et solide. La force vocale reste intangible et sans dérapages même dans les extrémités de sa tessiture.
La Mélisande que prend Julie Fuchs est une jeune femme, assumant sa place au centre du propos narratif (sujet de désir autour duquel gravite toute l’attention masculine). Son jeu sensuel n’est jamais vulgaire, foisonnant d'une énergie où se mêlent les sentiments de peur et de joie. Vocalement, elle présente une ligne souple et légère, très douce (notamment pour ouvrir l’acte II). L'émission mesurée est sans vibrations, secondée d'une prononciation impeccable, mettant sa prestation en phase avec la pensée stylistique du compositeur.
Simon Keenlyside (Golaud) offre un baryton étoffé, puissant et souverain dans le registre grave. Fin connaisseur du répertoire français, il prononce le texte avec grande habileté et clarté, le colorant de profondes nasales. Dans la deuxième partie du spectacle, son engagement vocal et scénique devient de plus en plus ardent et colérique, culminant avec l'assassinat de son frère (au fusil de chasse).
Franz-Josef Selig joue Arkel en bon père de famille incarnant la sagesse plurigénérationnelle. Les interludes orchestraux et le plateau tournant pour les changements de scènes révèlent pourtant un homme usé et malade, mais néanmoins sensuel et attiré par sa belle-fille Mélisande. Il arbore une grande voix sombre et mature qui se démarque par sa largeur et sa rondeur. Son français est solide et compréhensible, mais le vibrato devient considérable dès que l'émission monte en intensité.
Sarah Connolly (Geneviève) exploite surtout la région des cimes de sa voix pointue et de sa ligne, vibrée et claire. Elle oscille parfois trop dans la projection et l'intonation, sans trouver l'appui des graves. Le français est correctement travaillé, mais imperceptible dans les aigus forts et perçants.
Le petit Yniold est interprété par la soprano espagnole Ruth González, en garçon portant également des cheveux blancs et mi-longs (dénotant son appartenance familiale). Sa voix lumineuse et juvénile donne l'impression d'un véritable enfant, mais l'intonation s'avère aussi très fragile et manquant de finesse dans le phrasé. Stefano Palatchi s'appuie en Docteur sur une assise bien posée et sombre, prononçant un français solide mais endommagé par un vibrato un peu excessif.
Le Directeur musical de la maison, Josep Pons conduit l'Orchestre du Liceu (et l'épisodique chœur) vers un son compact et homogène, peignant cette ambiance nocturne et onirique par les forces jointes des cordes, des bois et des harpes. Toutefois, cette interprétation n'est que moyennement teintée de la douceur et de l’élégance des nuances dynamiques exigées par la partition. Les cuivres brossent néanmoins avec justesse les accès fiévreux de jalousie du malheureux Golaud.
Tous les artistes récoltent les acclamations de l'auditoire du Liceu : les solistes mais aussi le metteur en scène avec son équipe artistique.