Narcisse, opéra 2.0 à L’Autre Scène du Grand Avignon
Dans cette mise en scène également signée Marion Pellissier, les lumières de Jason Razoux illuminent légèrement la scène et découvrent le décor d’Anne-Sophie Grac, simple, mais en même temps intense : un grand cube de toile blanche occupe une grande partie du plateau, représentant la chambre de “Narcisse”, où sont projetées les images avec lesquelles les personnages vont interagir : en particulier l'avatar de Narcisse, encore plus égocentrique et hyperactif que lui. Le cube est entouré par des bocaux remplis de bonbons et un ours en peluche, évoquant la jeunesse (particulièrement confrontée aux réseaux sociaux et aux narcissiques avatars). La candeur de cette chambre est à l’image du deuxième personnage : la jeune et naïve Chloé qui va souffrir de plus en plus de l’enfermement social dans lequel veut la mener Narcisse.
Tout au long du spectacle, les interactions des protagonistes s’estompent au profit de leur virtualité, leurs échanges deviennent conversations projetées avec les vidéos de Nicolas Doremus et Jason Razoux. Les images renforcent également le contraste, puis la déchirante dichotomie entre les personnages et ceux qu’ils voudraient être, dans une construction d’image en abyme (des chanteurs incarnent ici des personnages qui deviennent des avatars). L'œuvre montre et dénonce donc bien entendu les dangers des “réseaux sociaux”, narcissisme idéalisé exhibé au monde, en cachant toutes les souffrances subies pour faire envie et susciter l'idolâtrie.
Le spectacle est accompagné au clavier par le Directeur musical Emmanuel Olivier, ainsi que la saxophoniste et contrebassiste Juliette Herbet, dans une interprétation emplie de suspense et des émotions nécessaires à faire comprendre l’état d’esprit des personnages (le mystère, la joie, la tristesse, le soulagement).
Les deux interprètes chantent avec microphones, ce qui renforce leur projection et modifie parfois leurs voix avec différents effets (laissant toutefois percevoir les caractéristiques de leurs timbres). Le ténor Benoît Rameau interprète Narcisse avec sa voix lumineuse et intense. Il maîtrise particulièrement son instrument, avec une précision et une sûreté bien adaptée au caractère (narcissique) de son personnage. Son jeu d’acteur dynamique et émouvant capte l’attention et permet au public de comprendre à la fois l’immaturité et les hésitations de son personnage.
Le rôle de Chloé est interprété par la jeune soprano Apolline Raï-Westphal, traduisant toute son incompréhension et ses déceptions face au comportement de Narcisse. L’interprétation d’Apolline Raï-Westphal est parfois timide, mais sait néanmoins transmettre au public ses lignes vocales et les émotions de son personnage. La voix est brillante, avec des médiums sûrs et des phrasés d’une délicatesse particulière. C’est grâce à cette délicatesse que son personnage parvient finalement à convaincre Narcisse de lâcher prise et de vivre avec elle, dans le monde réel.
Le public applaudit le spectacle durant plusieurs minutes avant d’aller rencontrer et interroger la compositrice, les chanteurs et toute l’équipe de ce projet.