Lille aux Enfants et aux Sortilèges
La synergie créative entre le metteur en scène James Bonas et les vidéos de Grégoire Pont invite les spectateurs à percevoir l’univers à hauteur d’enfant, d’où le moindre objet (de l’Horloge à la Tasse) revêt une allure exceptionnelle en dépit d’une scénographie minimaliste (écrans de tulles et costumes sombres). Sur scène, pour ces représentations réalisées en partenariat avec l’Atelier Lyrique de Tourcoing, l’ensemble musical Les Siècles placé sous la direction de Corinna Niemeyer consolide la mosaïque stylistique de Ravel et fait habilement le lien entre les différents tableaux, tout en nuances. Les apparitions du Chœur de l'Opéra de Lille agrémentent le tout de ponctuations dynamiques, relevant l'aspect burlesque de certaines scènes (comme la leçon d'arithmétique) ou encore le foisonnement naturel du dernier volet de la fable.
Le public lillois voit paraître une Catherine Trottmann métamorphosée, casquette vissée sur la tête et attitude boudeuse d’un petit garçon de 8 ans. Par la simplicité de l’écriture, le rôle de l’Enfant laisse somme toute peu de place au déploiement de l’amplitude vocale de l’artiste, mais lui permet un déploiement sensible de chaque ligne avec justesse mélodique et dramatique. Son investissement scénique est infusé de toute l’espièglerie d’un enfant têtu et énergique (mouvements brusques et cabrioles inclus), et des émotions neuves qui l’envahissent au fil de la fable initiatique.
Caroline Jestaedt oscille avec aisance entre la pyrotechnie de l'air de bravoure du Feu avec ses vocalises aisées, et les consonances aériennes du Rossignol et de La Princesse, offrant à chacune de ses apparitions des moments de poésie onirique. De son mezzo enveloppant, Ambroisine Bré paraît d’abord en tant que Maman, dissimulée derrière l’écran de tulle avec pour avatar une esquisse de main autoritaire démesurée. Dotée d’un registre médium moiré et d’un vibrato ample, sa tessiture sied aux consonances jazzy du ragtime de la Tasse chinoise et à la tragique Libellule séparée de son comparse.
Les apparitions tout autant disparates de Marie Kalinine sont très convaincantes, tantôt comique dans le duo du Pâtre et de la Pastourelle d'où émane le velouté de sa ligne vocale, tantôt féline dans un duo de chats où elle se prête au jeu des miaulements sonores. Olivia Doray hérite quant à elle de la liste la plus variée d’incursions (Bergère, Chouette, Chauve-Souris, Pastourelle) et s'adapte à ces rôles sans compromettre une technique vocale solide.
Au gré des métamorphoses, le ténor Raphaël Brémard déploie quant à lui une énergie sans limite (qui le caractérisait dans La Belle Hélène cet été à Lille) à chaque apparition. En Petit Vieillard, il déclenche quelques sueurs froides en matraquant le public de règles d’arithmétiques du haut de ses échasses, avec l’appui du Chœur de l’Opéra de Lille coiffé du bonnet d’âne. Cette intensité scénique est égalée par celle du baryton Philippe-Nicolas Martin dont la performance vocale atteint l’hystérie de l’Horloge (son autre air étant celui du chat). La diction est mesurée, tonique, et l’assise vocale assurée malgré la frénésie de l’air. D’un baryton à l’autre, Thibault de Damas donne quant à lui voix au Fauteuil grandiloquent et à l’Arbre mourant avec son timbre d’une densité tout à fait adéquate et sa déclamation efficace. Toutefois, sa ligne vocale se révèle un peu venteuse dans le grave, avec des appuis laryngés.
Le public sort conquis par cette parenthèse magique qui se referme tel un livre en pop-up grandeur nature.