Le Chant des Sibylles à la Philharmonie de Paris
En trois temps, la Philharmonie de Paris propose trois états christiques, célestes et terrestres : Nativité, Résurrection et Ascension grâce à l’Ensemble Pygmalion sous la direction de Raphaël Pichon (comptes-rendus bordelais à suivre sur Ôlyrix), Orphée Prophète avec Akadêmia et le Chant des Sibylles de Roland de Lassus.
Ce programme est ponctué d’hymnes et de chants de louanges byzantins : un répertoire rare et d'exception, défendu par l’ensemble polyphonique Irini, quintette mixte sous la direction de Lila Hajosi qui propose un voyage intérieur en une heure de temps. Les Sibylles, devineresses antiques et néo-prophétesses médiévales annoncent l’arrivée d’un nouvel élu, sauveur de Monde. Mis en musique par Roland de Lassus en pleine Renaissance, l’amour de l’Antique se mêle à l’univers prophétique bien sombre du Nostradamus et de la Guerre de cent ans.
« Roland de Lassus procède à l’élaboration d’une musique par aplats de couleurs harmoniques. Pas de consonances heureuses ici, la musique est modale, construite par écarts, à la façon d’un peintre peignant par accumulation de matière au couteau. » Lila Hajosi
L’occulte, la recherche éperdue de sens et le désarroi des contemporains de Roland de Lassus s’offre et résonne à travers les siècles avec le raffinement architectural de cette musique. Le contrepoint de Roland de Lassus se démarque par sa complexité, sa forme expérimentale autour de la musica reservata (aussi nommée musica secreta) fascinante avec ses harmonies énigmatiques, étranges même, et par la diffraction de ses textes, entrecoupés. Raffinée et puissante, l’élaboration sonore se dessine avec richesse, portée par la voix des cinq solistes de l’ensemble.
Les aigus de la mezzo Eulalia Fantova sonnent profonds, ornementés avec une justesse austère à la ligne pure. Plus profonde, la voix claire de la contralto Julie Azoulay résonne particulièrement dans le répertoire byzantin. Alessandro Ravasio impressionne par une voix de basse abyssale, complexe, souple et très opératique. Guglielmo Buonsanti de son côté a la prosodie austère, calme et posée de la grave orthodoxie. Plus baroque, le ténor Benoît-Joseph Meier s’offre d’une voix vive, souple, précise.
La prosodie typique de la musique madrigaliste s’offre ainsi avec des accents puissants, sous la direction de la musicologue et jeune cheffe Lila Hajosi. La musique s'élève et suspend le temps avec ces voix aériennes, entre la sagesse et la force du saisissement, un sacré parcours.