Sans Orphée ni Eurydice mais avec Chœur à Angers Nantes Opéra
Comme point de départ, le chorégraphe a choisi les passages uniquement interprétés par le chœur dans Orphée et Eurydice de Christoph Willibald Gluck dans la version parisienne de 1774, où le chœur est essentiel, tout comme la danse. Gluck s’affirme en effet comme un réformateur, unifiant les arts. Le chœur assume donc la narration du drame, endossant tour à tour le rôle des bergers et des nymphes dans l’acte I (vêtus de la couleur noire du deuil), des spectres et des furies (habillés pour certains d’un t-shirt jaune), puis des ombres heureuses dans l’acte II et de nouveau des bergers et des nymphes, palliant l’absence des protagonistes (d’où le titre Sans Orphée ni Eurydice), le tout accompagné non par un orchestre mais par une pianiste.
Michael Phellipeau propose une lecture facile du drame, le divisant en 4 passages, chacun rattaché à une humeur : tristesse, fureur, félicité et joie. La progression dans les couleurs, du noir au jaune accentue ces humeurs (le jaune poussin étant la couleur fétiche du chorégraphe, en mémoire à son père, fan de l’équipe de foot nantaise, les canaris). Des chanteurs en avant-scène prennent la parole au début de chaque passage pour raconter ce qui va se passer ou ce qui s’est passé. Des pancartes jaunes remplacent Orphée dans l’acte II, alors en dialogue avec le chœur. Des pointes d’humour (décalé) s’ajoutent aussi, comme cette référence au chant orné d’Orphée en inscrivant sur une pancarte “malheu-eu-eu-r” ou ce clin d’œil régional avec une ronde des furies proche d’une danse de fest-noz, ou bien encore cette parodie d’une bande de joyeux fêtards tout droit sortis d’un club de vacances pour interpréter le dernier chœur. Chaque acte est aussi ponctué d’un morceau de l’album Reflektor (sorti en 2013 par le groupe pop-électronique Arcade Fire), réfléchissant aux échos contemporains de cette œuvre notamment avec la dernière It's Never Over (Oh Orpheus), et les danseurs envahissent le plateau devenu dance-floor.
Mickaël Phelippeau propose des directives précises dans l’expression corporelle, véritable cheminement d’un chœur se mouvant en permanence, explorant l’espace, se croisant, s'enlaçant. Les yeux entrent dans la danse alors que les oreilles n’ont plus le monopole du chœur.
C’est aussi un travail de découverte sur la relation entre personnes (ce qu’affectionne le chorégraphe), l’aventure d’un groupe qui se réinvente, endosse des fonctions inhabituelles sous l’œil attentif et bienveillant du chorégraphe. L’expérience humaine est palpable par une volonté de valorisation de la personne, comme ce baryton jouant un poignant solo de flûte à bec ou encore ces quatre chanteurs introduisant par la parole chaque acte.
Le chorégraphe-plasticien connaît toutefois peu l’univers de l’opéra et des chanteurs lyriques. En plaçant Xavier Ribes (le chef de chœur) sur le côté, il met en difficulté l’ensemble des chanteurs, qui ne peuvent pas voir sa direction pourtant affirmée. En résultent des problèmes de départ souvent imprécis et de stabilité. Les choristes absorbés par la gestique et les déplacements (l’auditoire les entend compter lorsqu’ils ne chantent pas) en délaissent l’écoute de l’autre, essentielle à la chorale. Des voix plus vibrées que d’autres plus fortes entraînent déséquilibre et manque d’homogénéité. Les parties chantées restent trop souvent imprécises, peu nuancées alors que le chœur des furies ralentit en raison des déplacements imposés (l’application des artistes en vient à les desservir). Les voix des ombres heureuses deviennent perçantes et très vibrées, à l’inverse de ce qui est demandé par Gluck (douceur et calme). Plus le spectacle avance, plus l’exercice devient périlleux car le soutien vocal est fragilisé par l’essoufflement lié la performance physique (que chacun gère différemment).
Musicalement, l’émotion surgit donc davantage dans le jeu expressif de la pianiste Hélène Peyrat, offrant des pages instrumentales où la précision et les nuances des phrasés sont perceptibles.
Le public applaudit, mais avec modération, toute l’équipe artistique et cette exploration d’un être artistique hybride entre chant et danse.