Il Signor Bruschino : Rossini se gondole à Bologne
Cet opera buffa, tirant vers la farce est notamment connu pour son Ouverture mais tout un navire lyrique suit cette figure de proue symphonique. L'Orchestre maison aborde la partition avec enthousiasme, notamment cette Ouverture où les archets doivent non seulement virevolter sur les mélodies mais aussi frapper les pupitres, et même des récipients en étain placés au sol, dans un effet percussif. Cette "fantaisie de jeunesse" très mal reçue à sa création, fait désormais son plein effet, d'autant qu'elle s'allie au dynamisme du chef d'orchestre Michele Spotti (très habile et agile dans les interactions entre plateau et fosse, avec grande précision dans les ensembles) et à la jeunesse de la distribution ici engagée.
L'assistante Luca Baracchini reprend la mise en scène signée Barbe & Doucet (le metteur en scène-chorégraphe Renaud Doucet, le scénographe et costumier André Barbe) qui déplacent l'action depuis le château de Gaudenzio vers un voilier. Ce choix s'appuie sur le fait que Bruschino est le fils d'un capitaine de navire et permet ici de célébrer en mer le mariage de Florville et de Sofia. Les costumes de dandys d'époque côtoient donc les uniformes de marin, accentuant les contrastes et la présence des personnages (tout en faisant d'autant plus ressortir la robe violette de la soprano). Le tout est rehaussé par les lumières de Guy Simard, éclairant un vaste horizon sans ombres, avec les chaudes teintes orangées d'un pays ensoleillé.
Dans le rôle de Gaudenzio, tuteur de Sofia et baryton bouffe Rossinien, Giorgio Caoduro déploie l'ampleur de son grave, et de la douceur du médium, en perçant la fosse d'orchestre dès sa première apparition (qui a pourtant l'importance orchestrale d'une seconde ouverture). Il marque ainsi, vocalement mais également dans le jeu, les différentes facettes de son personnage (jusqu'à ce que la farce se retourne contre lui et se résolve dans la fin heureuse).
La soprano Hasmik Torosyan en Sofia, déploie sa technique assurée dans les coloratures avec une nette articulation, assidûment servie par la baguette du chef qui lui permet cette précision avec une grande douceur acoustique, un phrasé élégant et intelligible, romantique et en même temps incisif.
Le ténor Pierluigi D'Aloia, formé à l'école de cet Opéra de Bologne, installe en Florville une bulle romantique avec Sofia, par la tendresse de son phrasé, la clarté et la fraîcheur de son timbre, ainsi qu'un jeu charmeur. Il sait aussi déployer des tonalités plus décisives dans la confrontation avec des voix plus graves, sans jamais être couvert.
Le baryton-basse Simone Alberghini en Bruschino père brille par son caractère mais aussi la précision Mozartienne de son phrasé. Vif et drôle, il suscite à plusieurs reprises des sourires et des rires dans le public. Bruschino fils (Manuel Amati) n'intervient que vers la fin de l'œuvre, restant attentif au timing dicté par le maestro même s'il se définit par le caractère éméché et la projection généreuse du personnage.
Gianluca Margheri assume le rôle clé de l'aubergiste Filiberto, avec un ton aussi juste que son articulation maintenue dans les envolées brillantes de la partition. Enrico Iviglia, connu des scènes lyriques italiennes pour le répertoire de Rossini, parvient à souligner la personnalité de son timbre sculpté et de son personnage pourtant en retrait de commissaire.
Enfin, Francesca Cucuzza est délibérément timide pour son personnage de Marianna, et conserve la certitude de son timbre léger, dans les récitatifs comme dans en ensemble (où elle déploie sa forme vocale).
De longs applaudissements parachèvent les rires d'un public visiblement ravi d'avoir embarqué à bord de cette explosion du désir de vivre heureux !