Un Rigoletto au TCE : opéra-comique pour enfant ?
Proposer Rigoletto à des enfants dans le cadre d’un opéra participatif pouvait sembler risqué : l’histoire, sordide à certains égards, est en effet peu adaptée à la candeur des apprentis chanteurs. L’équipe d’adaptation et de mise en scène menée par Manuel Renga, forte des nombreux projets de ce type déjà réalisés, parvient toutefois à proposer une version adaptée. Certes, ce n’est pas la mise à distance, à travers une mise en abyme (le spectacle représente des comédiens représentant Rigoletto) ou une marionnette, qui fonctionne auprès des enfants : ces idées génèrent au contraire d’innombrables questions. Mais ils parviennent à détourner l’attention des enfants du propos en les captivant par les clowneries des trois comédiens et celles des interprètes des courtisans Marullo, Ceprano et Borsa : les enfants perdent ainsi le fil des paroles dans les passages les plus problématiques. A la fin du spectacle, les beaux décors et costumes, la musique de Verdi, les interprètes convaincants sont tout ce qu’il leur reste en mémoire.
Cependant, il en va différemment pour les parents amenés à travailler les passages participatifs avec les enfants, car eux n’ont pas la possibilité de recourir à ces artifices. D'autant que les enfants ont souvent le mauvais rôle, en particulier celui des courtisans débauchés, cruels et moqueurs. Il leur faut donc expliquer l’intrigue et explorer un champ lexical nouveau (amante, déshonneur, bouffon, etc.) et faire retenir à leur progéniture des paroles telles que « Arrête, vieillard, ou ta mort est certaine » ou « Ce gros bouffon sera puni » (paroles que ces enfants chantonnent encore innocemment plusieurs jours après le spectacle). Si « La Donna é Mobile » est transformé en bis par un joyeux « Chantons ensemble, fini le drame », une enfant n’en réagit pas moins, dans un éclat de rire, d’un « Chantons ensemble, d’accord, mais je suis quand même traumatisée ! ». Cette difficulté explique sans doute la faible participation du jeune public en ce samedi après-midi.
Accessible aux enfants, le spectacle l'est aussi aux mal-voyants grâce à un système d'audiodescription, et aux malentendants grâce à deux interprètes en langue des signes qui se relaient sur le coin de la scène : un ballet qui captive également les plus jeunes spectateurs.
Ivan Thirion assume un rôle-titre largement coupé par rapport à l’œuvre originale, de sa voix claire de baryton, au timbre corsé. Il sait se montrer tendre, puissant ou émouvant (lors du finale notamment). Jeanne Gérard campe Gilda d’une voix pure au vibrato léger, presqu’imperceptible, mais vif et rapide. Elle assure avec agilité ses trilles et vocalises, rendant parfaitement la candeur de la jeune fille pure (à laquelle les enfants peuvent -hélas vue sa fin tragique- s’identifier). Elle manque toutefois de puissance pour passer le petit orchestre, y compris dans les parties parlées, malgré un souffle bien maîtrisé. En Duc de Mantoue (et quelques heures avant de se rendre Salle Gaveau pour I Due Foscari avec Placido Domingo), Diego Godoy émet une voix bien timbrée, assez sombre, au large vibrato. Son phrasé est soigné, montrant une belle maîtrise du style verdien.
Nathanaël Tavernier campe Monterone et Sparafucile d’une voix charpentée aux graves charbonneux et aux aigus chargés d’air. Le souffle long, il dispense une diction très compréhensible, soulignant un phrasé très fin. D’abord Comtesse Ceprano puis Maddalena, Marion Lebègue dispose d’une voix poitrinée dense et chaude, au vibrato vif et à l’émission sûre. Le trio des courtisans manque d’abord de légèreté dans la scène festive qui ouvre l’opéra, avant d’évoluer vers des interprétations plus burlesques, laissant leur vocalité gagner en éclat. Marullo prend la voix sombre de Sévag Tachdjian. Bien qu’ayant inhalé du gaz lacrymogène sur le chemin du Théâtre en ce samedi de tension sur les Champs-Elysées, Hugo Santos en Ceprano se montre dynamique tandis que Benoît-Joseph Meier en Borsa peine à faire entendre son timbre clair.
L’Orchestre de chambre de Paris, dirigé par Victor Jacob, parvient malgré son effectif réduit, à reproduire les équilibres et les ambiances de la partition d’origine. L’adaptation coupe de nombreux passages afin de faire tenir l’œuvre en 1h15, mais aussi pour des raisons plus obscure, lorsque le duo entre Rigoletto et Gilda est amputé de certaines de ses plus belles mesures, remplacées par un mélodrame, la mélodie étant jouée à l’orchestre.
Cette version en français avec dialogues parlés transforme donc l'œuvre de Verdi en opéra-comique, rappelant très bien que tous les opéras-comiques ne sont pas drôles et peuvent même être tragiques. Les enfants y trouvent en tout cas leur compte et les airs restent, malgré leur difficulté, dans les têtes plusieurs jours après la représentation.