Spirituel et Spiritual Lundi musical de Marie-Laure Garnier à l'Athénée
Les deux musiciennes présentent le programme au fil de la soirée, expliquant même que si ce concert a lieu un 14 février, c'est davantage car il a dû être reporté (du 23 mars 2020), même si l'amour de la musique s'exprime ce soir. Les deux femmes, toutes deux en tenues blanches avec traînes de mariées sont ce soir unies artistiquement, par leur musicalité commune.
Les deux répertoires convoqués par le programme : mélodies françaises (de Messiaen et Poulenc) et negro-spirituals arrangés pour piano-voix, s'enchaînent, s'imbriquent même, littéralement dans un même souffle en alternance : sans transition, Deep river plonge dans la Main dominée par le cœur (Poulenc/Eluard), Priez pour Paix (Poulenc/Charles d'Orléans) enchaîne sur Nobody knows. Ces transitions étonnent d'abord et suscitent quelques sourires touchés ou étonnés dans le public, mais bientôt elles fascinent et finissent par devenir une évidence au point que les morceaux et les traditions ne s'enchaînent plus forcément immédiatement, mais dans le silence happé de l'auditoire.
L'enjeu esthétique de ce Lundi Musical est donc celui de la réunion et de la concorde, enthousiasmante pour le public et dans la démarche artistique des deux musiciennes, mais les différences entre ces répertoires restent pourtant indéniables, et même d'autant plus flagrantes dans une telle soirée. À commencer par les placements vocaux qui ne se concilient pas dans la prestation de Marie-Laure Garnier : le placement très lyrique de sa voix n'a pas le temps de s'exprimer dans les souples et rapides changements de tessitures des spirituals et ne lui permet pas d'y exprimer les profondeurs vocales indispensables à cette musique exaltant l'espoir et le cri de l'âme. Sa voix y demeure hélas souvent ténue, passablement blanchie de souffle et déforme beaucoup les voyelles en anglais, alors que dans le répertoire de mélodie française (où les sons se ferment certes parfois), la chanteuse déploie des qualités toutes opératiques : les yeux écarquillés, la bouche grande ouverte, elle déploie une immense articulation avec un ancrage profond et charpenté permettant d'immenses montées en volume, mais qui lui demandent plusieurs reprises de souffle en cours de phrases.
La pianiste Célia Oneto Bensaid est la première spectatrice-admiratrice de la chanteuse (avec laquelle elle forme un duo depuis le conservatoire) et la première à savourer cette musique qu'elle aussi chante des lèvres, mais silencieusement. Elle aussi fait un grand écart expressif mais avec la constance de servir la chanteuse et la musique : son corps entier semble absolument immobile dans les mélodies recueillies où seules se meuvent les extrémités de ses doigts, alors que tout son corps semble balayer le clavier dans la ferveur des Gospels.
Le public applaudit très chaleureusement et rappelle les deux artistes, émues et radieuses : les spectateurs sont assurément montés à bord du Gospel Train, chanté avant les bis, Amor de William Bolcom et Summertime du Porgy and Bess de Gershwin.
Marie-Laure Garnier poursuit ainsi son parcours très en vue, après notamment une faste année 2021 qui l'a vue remporter la Victoire de la Musique Classique dans la catégorie Révélations Lyriques, participer au Concours Operalia, et faire son retour au Concours Voix des Outre-Mer notamment.