Galanteries fantasmagoriques pour Coronis à l’Opéra Comique
Pour sa mise en scène, Omar Porras reprend l’esprit des grandes productions baroques d’hier et d’aujourd’hui, mais avec subtilité et un goût du détail. La richesse des matières et des lumières utilisées permettent de définir immédiatement l’esprit visuel d’une zarzuela (opéra espagnol) qui mêle l’esprit irisé du conte à l’esprit pompeux, mais aussi facétieux, de son époque de création : le début du XVIIIe siècle. L’ensemble des chanteurs est la plupart du temps réuni sur scène, mêlé à des danseurs, comédiens et acrobates qui rappellent l’aspect circassien, presque bouffon, de ces comédies de cour où les rois se plaisent à être eux-mêmes sujets. Différents niveaux de lecture sont ainsi avancés tout au long de la pièce (avec même des références piquantes au Covid) dans une mise en scène des rapports de pouvoir sous l’Ancien Régime, en passant par la pièce elle-même, récit enchâssé de comédiens montant une pièce dans un monde féérique. Les ors de l’Opéra Comique renforcent la mise en abyme, avec même un jeu sur les fumigènes et autres explorations pyrotechniques (nombreux et très présents) : la zarzuela se finit dans une intrigante mais néanmoins amusante odeur de fumée, comme si elle était aussi passée par le temple d’Apollon en entrant à l’Opéra.
Marie Perbost incarne Coronis avec le travail de sa voix placée, chaude et onctueuse mais se déployant vers des aigus puissants, notamment dans des vocalises volontairement larges et tenues. Sa voix prise par le dessus des notes rend sa séduction brillante, et domine la plupart des échanges vocaux. La chanteuse prend cependant le soin de laisser la place à ses autres partenaires, dans des harmonieux jeux de tuilages mélodiques, l’une des richesses de la pièce. Parfois un peu trop dynamique par rapport aux instrumentistes, Marie Perbost s’installe avec confiance dans un rôle long et exigeant, en maintenant sa prestance vocale jusqu’à la fin du spectacle (sans entracte).
Isabelle Druet déploie une constante aisance en Triton, devenant la créature marine dans sa démarche même, avec une autodérision bienvenue tout en étant capable de travailler le pathos de son interprétation, jusqu’à presque tirer des larmes au public, ému par ses amours malheureuses. Le timbre de la chanteuse, entre résonances nasalisées, voix de tête et moments parlés-chantés, joue (avec constante justesse) de ces notions d’hybridité qui sont au cœur de la problématique du monstre, mi-humain mi-poisson. L’amplitude vocale d’Isabelle Druet est aussi remarquée avec des graves ronds et des aigus assurés, permettant même certains effets de "croassement" propres au monstre, tout en maintenant l’intensité de chacune de ses interventions.
La voix masculine de la zarzuela, Protée, est assurée avec une grande finesse par Cyril Auvity. Le ténor se distingue en particulier dans des vocalises toujours très harmoniquement précises et musicales, dans l’aisance du mouvement mélodique. Le vibrato naturel dans les terminaisons (quoique manquant de puissance) rend l’image d’un inquiétant devin qui, dans sa caverne, se refuse toujours à apparaître comme menaçant. La zarzuela ne se veut certes en aucun cas tragique, mais elle autorise davantage d’intensité dramatique.
Les duos se construisent en parallèles, entre les deux dieux (Neptune et Apollon). Caroline Meng joue d’un flegme sympathique le puissant dieu des flots. Sa voix chaude et puissante, assez cérébrale, sert ce personnage présenté physiquement comme masculin, et âgé, lui donnant une assurance immédiate, parfois aux dépens de la rythmique malheureusement. À l’inverse, l’Apollon de Marielou Jacquard est d’une précision vocale millimétrique, mais manquant souvent de puissance, et apparaissant de fait comme un peu faible face à l’ensemble de voix très fortes des solistes. Souvent très drôle, la chanteuse compense en jouant de son physique souple pour travailler le côté enfantin de ce dieu davantage capricieux que puissant.
L’autre duo de la zarzuela est le duo comique. Ménandre s’appuie sur le timbre de contralto chaud et perçant qui caractérise d’emblée la voix d’Anthea Pichanick, y compris dans les ensembles. Les jeux sur la maladresse de l’homme sont aussi l’occasion de montrer tout le potentiel comique de son interprétation. C’est dans la scène suivant l’incendie que Sirène, Victoire Bunel, se révèle face à Ménandre. Un peu timide au début, avec des aigus souvent criards, elle montre sa chaleur de timbre dans le médium qui la met davantage en valeur.
Eugénie Lefebvre et Stephan Olry, respectivement Iris et Marta, se greffent souvent aux deux chanteuses pour jouer les bergers. Leur aisance et leur spontanéité correspond parfaitement à l’esprit de ces personnages. Stephan Olry joue avec beaucoup d’humour son personnage féminin, y compris lorsque la partition pousse sa voix de ténor dans les graves, et le public rit souvent de cette petite troupe, complétée avec délicatesse (et puissance dans les aigus) par la soprano Eugénie Lefebvre.
C’est cette bonne humeur qui emporte le public dans cet opéra, à la fin quelque peu déconcertante (le finale parait un peu pauvre après la démonstration visuelle et sonore qu’a été le spectacle), mais compensée par un bis/salut en musique. La zarzuela tient en effet sa cohérence de la grande amplitude maîtrisée du chef Vincent Dumestre, ainsi que des musiciens du Poème Harmonique, notamment Lucas Peres à la viole de gambe. À la toute fin, c’est sous la rythmique endiablée des guitaristes que les acrobates offrent leurs figures favorites, tandis que les chanteurs dansent sous les applaudissements du public.