Spleen et guitare électrique avec Anne Sofie von Otter au Musée d’Orsay
C’est avec une certaine solennité qu’Anne Sofie von Otter entame, sur la scène de l’Auditorium du Musée d’Orsay, un récital consacré à Baudelaire à l’occasion de son bicentenaire -reporté d’un an à cause de la pandémie. Au programme, les adaptations de ses poèmes par Fauré, Debussy ou Chabrier, mais aussi par Gainsbourg, Léo Ferré et même la compositrice suédoise contemporaine Sofia Karlsson. C’est un honneur pour elle de chanter Baudelaire, explique la mezzo-soprano sur scène, et un plaisir que sa prestation ne démentira pas.
Au piano d’abord, l’accompagne Bengt Forsberg. D’une main précise, claire et appliquée, le pianiste entame un Fauré leste et finement coloré (Hymne). C’est un accompagnateur attentif et une certaine complicité, peu évidente au début, émerge entre lui et la cantatrice. Il a droit à sa part belle avec quelques morceaux pour piano, dont les Romances sans paroles (Fauré toujours) qui, malgré la sobriété du jeu, ne manquent pas de sentiment.
Il est rejoint plus tard par l’alto de Vicki Powell, qui entre sur scène avec un sourire rayonnant dont elle ne se départira pas tout au long de la soirée. La jeune altiste propose un jeu fin et précis, doté d’une adresse qui se retrouve dans La Cloche fêlée de Lœffler. Son Ravel, en duo avec Bengt Forsberg (la Pavane pour une infante défunte) est moins convaincu, malgré la souplesse indéniable qu’elle y porte et l’entente entre les deux artistes.
À la guitare électrique survient Fabian Frederiksson après l’entracte. Moins vif que les deux autres (malgré son instrument) il se joint à eux pour compléter cette partie plus contemporaine du programme par un jeu léger, précis lui aussi, empreint d’une certaine délicatesse et tâchant de se mêler avec humilité au piano et à l’alto.
Enfin, Anne Sofie von Otter déploie les mots de Baudelaire sur la scène, par sa voix de mezzo-soprano au timbre clair, ourlé de certains aigus flamboyants et de notes plus sombres. La puissance est manifeste, impressionnante dans certains airs et son Chant d’automne de Fauré est acclamé par le public, dans une salle presque comble. Dextérité et nuance sont au rendez-vous, mais aussi la diction française. La voix paraît toutefois un peu élimée dans la première partie, pourtant portée avec une indéniable vigueur. Au début du concert et jusqu’au milieu de la première partie, le public demeure très silencieux et semble hésiter à applaudir, comme frappé d’une sorte de solennité -mais dès la fin du Chant d’automne de Fauré, il acclame la mezzo-soprano avec force applaudissements et poursuivra ainsi la soirée vers le programme avec microphone. Le jeu sur les tonalités les plus graves de la voix provoque même un éclat de rire de la chanteuse qui déclenche les bravi du public.
C’est avec une note de mélancolie que l'auditoire s’en retourne au-dehors, à la fois électrisé par cette dernière partie et, inévitablement, parcouru d’une touche du spleen baudelairien dans cette froide et humide nuit parisienne.