La Somnambule à l'Opéra de Vichy, un éveil lyrique
Saison après saison, l’étroite coopération nouée avec le Clermont Auvergne Opéra ne cesse de croître et de prendre plus concrètement forme pour l'Opéra de Vichy. L’organisation des éliminatoires du Concours international de chant clermontois dans la ville thermale, l’été dernier, en avait été une nouvelle preuve (notre compte-rendu). Un concours dont les prix sont des rôles dans les productions lyriques : comme pour le diptyque Cavalleria Rusticana-Pagliacci vu et entendu dans les deux villes à l’automne, ainsi que pour cette nouvelle production de La Somnambule de Bellini créée dans la cité des volcans. Une production dont les femmes prennent largement les rênes, à commencer par celles de la mise en scène, ici confiées à Francesca Lattuada qui, face à la défection de dernière minute de l’une des solistes (Olga Syniakova en Teresa), s’offre même le luxe de prendre elle-même part à l’action tandis que la partie vocale du rôle est confiée à la mezzo Éléonore Pancrazi, sollicitée la veille et contrainte, faute de temps, de chanter avec pupitre (mais non sans brio).
Francesca Lattuada propose, outre sa capacité d’adaptation face aux impondérables, une scénographie relativement épurée et peu marquée tant géographiquement que temporellement. L’ensemble est surtout dominé par une forme de naturalisme et d’onirisme, avec de sobres éléments d’ornementation qui se veulent avant tout suggestifs, tels ces deux troncs d’arbres s’entrelaçant pour figurer la nature, ou cet immense voile dressé en fond de scène pour symboliser un rempart de village ou les murs d’une chambre. Un voile qu’Amina, façon Venus de Botticelli, vient franchir dans ce rêve éveillé qui la mène bien malgré elle dans le lit du Comte, au prix d’une scène éminemment métaphorique et poétique où l’immense voilage vient opérer une séparation entre le monde du réel et celui du songe. Ce procédé offre aussi l’usage de guirlandes lumineuses descendues du plafond et venant se refléter dans un sol particulièrement réfléchissant où l’action paraît se dédoubler, offrant là aussi l’impression de la cohabitation entre deux mondes. Et puisque la dualité est de mise, les costumes signés Bruno Fatalot suivent le mouvement, oscillant entre la sobriété de ceux dont l’amour est ici central (tunique blanche pour Amina, veste noire pour Elvino), et l’excentricité de ceux qui viennent le troubler (robe rouge écarlate à la traîne de dragon pour Lisa, ailes excentriques dressées façon Wim Wenders pour Rodolfo). L’effet esthétique fonctionne comme celui produit par les lumières de Christian Dubet, variées tant dans leurs tons que dans l’intensité de leurs projections. Lumineuse dans son art de l’acrobatie et de la contorsion, Lise Pauton, en double animé d’Amina, l’est tout autant.
Deux sopranos au rendez-vous de l’émotion
Répartis entre lauréats du dernier concours de chant de Clermont-Ferrand, donc (exception faite d’Elvino, et ce soir de Teresa), les rôles voient briller de jeunes artistes dont l’avenir s’annonce prometteur. En Amina, Julia Muzychenko ne cesse jamais d’être totalement investie pour son personnage de femme aimante et innocente dont le destin amoureux se trouve contrarié par la faute d’un sommeil instable. Dès son “Come per me serena”, avec sa perruque rousse que lui arrachera Elvino en lieu et place de la bague, la soprano russe affiche une clarté remarquée dans son émission portée par une vibrante sensibilité et un phrasé de velours. La voix est nette, émise avec conviction, son élasticité ouvrant la voie à d’exquises vocalises. La performance dramatique est non moins appréciée, trouvant son acmé dans le poignant “Ah! Non credea mirarti” où la mélancolie comme le bonheur sont portés par une même conviction scénique, visage fermé et mains renfermées contre la poitrine, avant que la suite ne redonne place à l’allégresse.
Lisa est tout autant incarnée par Francesca Pia Vitale, dès son entrée en scène, poussée par le vent d’une charismatique élégance. La soprano italienne livre un chant empli de fraîcheur et de musicalité. La ligne vocale est tissée sur le fil continu d’une pure et délicieuse sonorité, pas avare en guillerettes vocalises, la légèreté de l’émission laissant place à davantage d’ardeur lorsque, en dragon dont elle porte les attributs, cette Lisa aux cheveux d’or brûle du feu de la jalousie. L’artiste s’illustre même lorsqu’elle ne chante pas, par une gestuelle dynamique et des regards (perçants) ne cessant jamais d’être expressifs et de faire sens. Enfin, côté féminin, ayant la veille accepté de prêter sa voix à Teresa, Éléonore Pancrazi (Révélation Lyrique aux Victoires de la Musique Classique 2019) s’en sort avec les honneurs, faisant entendre depuis le bord de scène un mezzo ample et charnu, au medium bien assis.
Aliaksey Birkus est à l’aise dans l’excentricité colorée du costume de Rodolfo, présentant un contraste certain avec l’austérité de l’imposante voix de basse du biélorusse. Le grand air du rôle, “Vi ravviso”, est chanté avec une noblesse et une délicatesse d'émission qui restent constantes sur toute l’amplitude de la tessiture. En Elvino, Marco Ciaponi met davantage de temps à se mettre en route, même s’il expose d’emblée une voix de ténor au timbre clair et sonore. Longtemps pourtant, l’artiste se montre trop statique, les bras collés au corps, peinant à nouer une complicité physique avec Elvina (dans une forme de respect, certes, des gestes barrières). Il semble davantage libéré à l’acte II, vocalement comme scéniquement, parvenant à être touchant, dans un mélange de raffinement et d’emportement. L’Alessio de Clarke Ruth est loin de passer inaperçu, tant cette voix grave et sonore semble porteuse d’un bouillonnement qui ne demande sans doute qu’un terrain d’expression plus approfondi. Enfin, Gentin Ngjela est un notaire à la voix de ténor bien audible, mais par trop nasale.
Et puisque les femmes sont définitivement à l’honneur, Beatrice Venezi se met au diapason en dirigeant énergiquement l’Orchestre national d'Auvergne qui, malgré un effectif restreint, restitue tous les élans passionnels attendus en de telles circonstances belcantistes (notamment au cor et à la clarinette très expressifs). Le Chœur de l'Opéra Grand Avignon fait lui montre d’homogénéité en tutti, d’autant plus saisissante lorsque ses membres viennent chanter à l’avant de la scène. En matière de sonorité, le public vichyssois affiche aussi ses dispositions en saluant d’une bruyante ovation (comme rarement entendue ces temps derniers en ces lieux), un spectacle désormais attendu pour la suite de sa grande tournée (Avignon, Compiègne, Limoges, Massy, Metz, Reims et Tours).