Carmen incandescente par Marie-Nicole Lemieux à Toulouse
Le Théâtre du Capitole reprend la Carmen de Bizet dans la mise en scène de Jean-Louis Grinda (notre compte-rendu déjà à Toulouse en 2018, avec Clémentine Margaine) et offre ainsi à Marie-Nicole Lemieux sa prise de rôle scénique (après une version de concert au Théâtre des Champs-Elysées en 2017).
Les judicieux décors de Rudy Sabounghi s’installent dans l’espace neutre de la scène nue avec parfois des projections : deux praticables semi circulaires, assez élevés et mobiles modèlent et dessinent les lieux selon les besoins dramatiques (place publique, chemins, arènes), éclairés efficacement par Laurent Castaingt pour accueillir l’action. Les costumes de Rudy Sabounghi et Françoise Raybaud Pace sont sobres, mais parfaitement en accord avec l’imagerie attendue dans une Carmen de tradition.
La mise en scène de Jean-Louis Grinda déploie le récit avec l’idée éloquente et claire de commencer par la fin, avec les mêmes images (Don José aux arrêts se remémore les événements). Tout est clair et lisible, avec cependant un parti pris de démonstration maximale dans la montée érotique (séduction appuyée et postures sans équivoques), mais aussi dans l’expression de la violence (bagarre des cigarières, conflit entre Carmen et Don José jusqu’à des étranglements et brutalités physiques). Marie-Nicole Lemieux gère ainsi cette double montée, d'un érotisme (explicite au moment de sa danse devant Don José) et d’une violence mais qui, culminant dès le début du 3ème acte, amoindrit d’autant le dramatique finale.
Marie-Nicole Lemieux évolue pour la première fois dans une mise en scène de ce rôle et pourtant avec un naturel confondant. Assumant tous les caractères de ce personnage, la densité de son incarnation est telle que, même silencieuse, elle attire le regard et suspend l’oreille de tout l’auditoire. La voix chantante est ample, large, très sonore, sombre jusqu’à la noirceur quand elle poitrine, enjôleuse et fruitée quand elle séduit. Sa grande étendue vocale est multipliée par sa palette dynamique, avec une présence sonore constante. Droite et forte dans le jeu et la voix, de l’amour envoûtant érotique jusqu’à la violence renvoyée à ce Don José qu’elle n’aime plus, elle allie puissance et droiture. Le public ne s’y trompe pas et lui réserve un triomphe.
Une danseuse est également intégrée à la mise en scène, figurant probablement l’âme de Carmen, lors de certains ensembles ou pendant des pages orchestrales. Irene Rodriguez Olvera émerveille le public, mêlant avec art une danse d’inspiration flamenca (avec talons et parfois castagnettes) à l’écriture orchestrale proposée.
Plutôt à l’aise scéniquement et se conformant aux attentes de la mise en scène, le Don José de Jean-François Borras se déploie avec une voix ample, très sonore et projetée. La diction sert un beau métal argenté et une aptitude à nuancer qui lui permettent une exacte incarnation. Il colore les divers aspects du personnage, la tendresse envers sa mère, la passion pour Carmen (violente ou tendre comme une fleur jetée), bravache face à Escamillo et déchirant dans la fin tragique. Il reçoit également une ovation.
Elsa Benoit (déjà très appréciée le mois dernier avec Alcina à Garnier) déploie l’étendue de son soprano avec un rayonnant vibrato serré, qui renforce l’attendrissante humanité de Micaëla (l’éloignant d’une image plus convenue). Ses attaques piano-subito forte dans l’aigu confèrent la dimension lyrique du personnage et portent l’évolution de la candeur initiale à la gravité finale, elle aussi justement saluée par le public.
Alexandre Duhamel a la prestance et l’étendue du toréador Escamillo, avec son aisance scénique et une voix de baryton chaude. Ses couleurs en mezza voce élargissent encore son spectre vocal, mais contribuent aussi à son léger déficit de volume vocal global (il est parfois couvert). Pour compenser, il rend le duo-duel avec Don José bien plus investi que sa séduction de Carmen.
Le Remendado du ténor Paco Garcia est efficace scéniquement, mais sa voix faible et mate, manquant de couleurs et de projection, amoindrit l’aspect voyou du personnage. Le Dancaïre du baryton Olivier Grand (tout autant investi que, et avec, son partenaire) a lui aussi une voix peu sonore, quoiqu’au tendre timbre.
Marie-Bénédicte Souquet prête à Frasquita son abattage scénique ainsi que sa voix de soprano sombre, aisée, d’une couleur affirmée mais peu diversifiée et d’un format restreint. Elle se mélange toutefois pleinement (comme les cartes qu’elles tirent) avec Mercedes : très à l’aise Grace Durham au mezzo léger, bien projeté sur un timbre acidulé. Sa grande facilité dans les aigus lui permet, au-delà de ses rares interventions solistes, d’assurer sa partie vaillamment dans les ensembles et les finales.
Victor Sicard (Morales) est un baryton à la voix claire et sonore, aussi investi dans la comédie. Jean-Vincent Blot déploie sa voix encore au-delà des dimensions restreintes de Zuniga : son chant de basse est large, sonore et sombre, mais avec une diction claire et déliée. Enfin, Frank T’Hézan incarne très justement le petit rôle parlé de Lilas Pastia.
L’Orchestre national du Capitole justement applaudi, suit la baguette inspirée, poétique et précise de Giuliano Carella, sachant alléger dans les moments divertissants aussi bien que trouver les accents et densités tragiques utiles quand il le faut, avec un grand sens des contrastes. Les préludes (notamment des 3ème et 4ème actes) sont traités comme les moments à part entière de lyrisme qu’ils sont.
La Maîtrise du Théâtre du Capitole, préparée par Gabriel Bourgoin assume ses lignes vocales avec son esprit divertissant. Le Chœur du Théâtre du Capitole dirigé par Patrick Marie Aubert est tout autant remarqué, tant par son implication scénique (intense bagarre des cigarières), que par ses prestations vocales (hommes seuls ou femmes ou chœurs mixtes), avec une ample et noble pâte sonore, une prononciation impeccable, des couleurs et des nuances du pianissimo au fortissimo. Ils animent les épisodes de cet opéra, comme leurs saluts au rideau final lancent l’accueil très chaleureux du public.
Rendez-vous très prochainement sur Ôlyrix pour le compte-rendu de la deuxième distribution de cette production : avec la prise de rôle d’Eva Zaïcik en Carmen aux côtés d'Amadi Lagha (Don José), Marianne Croux (Micaëla) Armando Noguera (Escamillo) et la danseuse Cloé David