A Strasbourg, un Tour d’écrou pas si marteau
Le Tour d’écrou est un huis clos composé par Benjamin Britten au cours duquel se succèdent quinze scènes suivant la Gouvernante de deux enfants luttant contre des fantômes qui menacent ses protégés. La mise en scène de Robert Carsen joue avec justesse sur le doute entourant l’existence réelle des fantômes : sont-ils le fruit de l’imagination de la Gouvernante, présente durant chaque scène, où hantent-ils réellement le manoir mystérieux ? S’il ne veut apporter aucune réponse définitive à cette question, il semble pourtant bien avoir choisi son camp, pointant dans le programme de salle que la Gouvernante décrit précisément le portrait de Quint (le domestique décédé dont elle dit voir le fantôme) qu’elle n’a pourtant jamais eu l’occasion de rencontrer. Sa mise en scène, faisant s’enchaîner les tableaux et les changements de décors, transcrit visuellement la tension de la partition qui croît progressivement, tel un écrou serré toujours plus fort. La scénographie est typique du metteur en scène dont nous retrouvons l’esthétique, comme le tableau noir sur fond gris au centre de sa vision de Rinaldo de Haendel, ou bien le lit verticalisé donnant l’impression d’avoir une vue plongeante sur la personne endormie, déjà vu dans sa mise en scène de Rusalka de Dvorak. Cette scène s’avère d’ailleurs être la plus marquante du spectacle, grâce à l’utilisation de la vidéo et la répartition des voix sur scène, en fosse et en coulisses, rendant admirablement l’angoissant cauchemar, à la fois érotique et effroyable, de la Gouvernante.
Le tour d'écrou par Robert Carsen -scène du cauchemar (© Klara Beck)
La distribution, très resserrée, est emmenée par Heather Newhouse dans le rôle de la Gouvernante, parfaite vocalement et scéniquement. Candide au début (dans la scène de la fenêtre), elle fait évoluer son personnage avec un grand investissement scénique au fur et à mesure que ce dernier glisse dans l’obsession des fantômes, renvoyant au monde l’image d’une femme folle. Son timbre riche et son vibrato soyeux apportent un charme certain aux ensembles tandis que son articulation, dans sa description de Quint en notes piquées, par exemple, est impeccable.
Sa voix s’accorde bien à celle de la Miss Grose d’Anne Mason dont la puissance prodigue une réelle autorité au personnage. Légèrement criarde dans les aigus, elle est parfaitement à son aise dans les graves, offrant un chant particulièrement subtil. Les deux enfants, interprétés en ce soir de Première par Odile Hinderer et Philippe Tsouli, sont parfaits, se sortant sans ambages des difficiles quatuors dont les parties contrapuntiques (c’est-à-dire dans lesquelles chaque chanteur tient une ligne mélodique et rythmique propre) sont exécutées avec une précision diabolique.
Le trou d'écrou par Robert Carsen (© Klara Beck)
Enfin, les deux fantômes sont interprétés par Cheryl Barker en Miss Jessel et Nikolai Schukoff en Peter Quint. La première glace par la profondeur de sa voix dont le vibrato est accentué, tandis que le second, qui campe également le personnage du Prologue, conférencier au langage corporel mal assuré, se montre terrifiant dans la scène finale de l’opéra, son personnage bénéficiant de du timbre barytonant de son interprète, projeté avec tranchant, qui accentue la gravité de ses menaces, répétées avec entêtement.
Cheryl Barker et Heather Newhouse dans le Tour d'écrou (© Klara Beck)
L’ensemble de 14 musiciens issus de l’Orchestre Symphonique de Mulhouse et dirigé par l’excellent Patrick Davin, ménage avec agilité différentes ambiances musicales, inspirées tantôt du jazz, tantôt de musiques populaires, de comptines pour enfants, etc.
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