Eliogabalo à Garnier : Jolly et Fagioli sont sur un beau bateau
Francesco Cavalli est l’un des tous premiers compositeurs d'opéra de l’histoire, après Jacopo Peri et Claudio Monteverdi. Comme ses prédécesseurs, Cavalli compose une musique brillante, complexe et exigeante, portée pour l’occasion par l’Orchestre Cappella Mediterranea, à la tête duquel est placé Leonardo Garcia Alarcon, son directeur, et probablement le plus grand spécialiste du compositeur, dont le geste précis imprime avec passion un souffle tout à fait baroque. Tout n’est certes pas parfait (quelques problèmes de justesse ou de rythme sont entendus ici ou là) mais l’ensemble est énergique et nuancé. Une mention spéciale est attribuée à la percussionniste Marie-Ange Petit, dont la partie de tambourin, rarement autant mise en valeur, est ici d’une grande complexité et interprétée avec un trésor de précision. Le chœur de Chambre de Namur, placé tantôt dans la fosse, tantôt sur la scène, exécute la partition avec application.
Scénographie d'Eliogabalo par Thomas Jolly (© Agathe Poupeney)
L’une des attractions de cette production d'Eliogabalo est Thomas Jolly qui signe là sa première mise en scène d’opéra. Le décor de Thibaut Fack est composé d’éléments noirs pivotant sur lesquels des marches d’escaliers apparaissent ou s’escamotent (parfois bruyamment), rappelant les scénographies d’Olivier Py (la comparaison s’arrête là). Les espaces sont délimités par des faisceaux lumineux (imaginés par Antoine Travert), formant tantôt des murs ou des colonnades, tantôt le toit d’un chapiteau ou bien encore une alvéole dans laquelle se lovent les amants Giuliano et Eritea. Seul regret : les éblouissements fréquents et particulièrement gênants pour le public… Les costumes de Gareth Pugh réimaginent de manière futuriste les costumes d’époque, pour un rendu tant surprenant qu’attrayant. Les effets de mise en scène sont nombreux (utilisation de la fosse pour les entrées de personnages, bain de paillettes dorées, feu d’artifice de cotillons et d’autres dont nous ménagerons la surprise) mais ne sombrent jamais dans les facilités que le sujet de l’opéra, la luxure sans limite d’un empereur romain, aurait pu provoquer.
Scénographie d'Eliogabalo par Thomas Jolly (© Agathe Poupeney)
À la tête d’une magnifique distribution, Franco Fagioli ne déçoit pas, loin de là. Prenant un plaisir manifeste à jouer l’empereur pervers et nombriliste auquel il imprime une gestuelle japonisante, il multiplie les sourires vicieux, les postures lascives, les pas de danse et les gestes impérieux. Le travail effectué sur la déclamation (voir son interview abordant ce sujet) est évident et il jongle avec une apparente facilité entre jeu théâtral et exploits vocaux. Sa voix, toujours aussi profonde, ample et puissante, lui permet de voltiger d’un extrême à l’autre de sa tessiture au sein d’une même phrase. Son vibrato maîtrisé lui offre d’ailleurs l’une des rares salves d’applaudissement de la soirée.
Franco Fagioli en Eliogabalo (© Agathe Poupeney)
Alessandro, le lieutenant d’Eliogabalo, à qui ce dernier doit la fin d’une révolte, mais dont il espère posséder l’amante, est interprété par un Paul Groves majestueux, caché derrière une barbe fournie. La voix puissante, la diction soignée, il parvient durant les deux premières parties à projeter ses aigus avec une grande finesse, avant que ceux-ci ne deviennent plus tirés du fait de cordes vocales probablement fatiguées. Son amante, Gemmira, est chantée par la nouvelle soprano vedette des scènes internationales, Nadine Sierra, qui reviendra à plusieurs reprises à Paris cette saison. La belle aux mouvements gracieux exhibe un vibrato de velours. Sa voix enveloppe l’orchestre et sait se faire piano, comme dans le finale de son air du deuxième acte, suite auquel des vivats nourris ont interrompu l’opéra durant quelques instants.
Valer Barna-Sabadus, l’autre contre-ténor de la distribution incarne un Giuliano, chef des armées (raison pour laquelle, sans doute, il est maculé de terre ?), frère de Gemmira et amant d’Eritea. Sa voix, magnifiquement claire et lumineuse dans les aigus manque cependant de puissance. Ses duos avec l’Eritea d’Elin Rombo sont de toute beauté et figurent parmi les moments les plus remarquables du spectacle. Cette dernière varie les nuances et parvient à atteindre des notes habituellement dévolues aux mezzo-sopranos. Vibrante lorsqu’elle narre son viol par Eliogabalo, elle livre également un beau duo de vocalises avec Nadine Sierra, lorsque, dans un crescendo, les deux femmes réclament vengeance du tyran.
Eliogabalo par Thomas Jolly (© Agathe Poupeney)
Le baryton Emiliano Gonzalez Toro joue Lenia, une vieille femme manipulatrice mettant en œuvre les crimes et les trahisons du despote, à laquelle il impose une démarche bouffonne jouant à merveille du comique du personnage. Sa technique vocale, très adaptée au baroque avec des trilles très maîtrisés, manque toutefois de puissance. Son compère, Zotico, campé par Matthew Newlin, force son chant en fond de gorge, le mettant en peine dans les aigus de sa partition, alors que son timbre ne manque pas de charme dans les médiums. Atilia, amante déçue d’Alessandro (mais qui s’offre sans scrupule à Eliogabalo) est chanté par Mariana Flores, qui lui apporte la fraîcheur juvénile qui correspond au personnage et parvient à exploiter, bien que mise en danger par des postures scéniques peu compatibles avec le beau chant, une corde plus dramatique lorsqu’elle est repoussée. Enfin, la basse Scott Conner s’acquitte fièrement du double rôle du drolatique de Nerbulone et du traitre Tiferne, resplendissant dans les profondeurs vocales de sa partition.
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