L’Auberge du Cheval Blanc à l’Odéon de Marseille : Tyrol ou Canebière
Humour et Amour sont les deux ingrédients principaux de cette opérette berlinoise de Ralph Benatzky adaptée en français par Lucien Besnard, avec des paroles chantées de René Dorin. Le début est d’emblée dynamique avec les trois coups frappés, le chant du coq, puis un roulement de timbale. Le décor plonge le public au Tyrol, avec deux chalets au premier plan, une photo d’un lac et de montagnes enneigées complétant ce tableau, au fond du plateau. Dès l’ouverture, l’Orchestre de l’Odéon de Marseille dirigé par Bruno Conti déploie le thème récurrent de “la bonne Auberge du Cheval Blanc”, un leitmotiv bien germanique, qui évoque les valses de Strauss. Le chef réussit à gérer la masse orchestrale dans un style rythmé et dansant avec l'ensemble des cordes, puis les vents ajoutent une coloration évoquant le Tyrol, en particulier avec l'utilisation des clarinettes.
Le chœur est généralement situé derrière les danseurs, tous vêtus des somptueux costumes typiques rendant les tutti d'autant plus joyeux. Mixte et homogène, ce chœur représente la foule des touristes dans l'acte I et se mélange habilement aux danseurs et aux solistes. Dans l'acte II, ce même chœur mixte accueille l'empereur avec étonnement et enthousiasme, les voix se fondant habilement. Enfin, dans le finale, avec une diction impeccable, il soutient l'ensemble des solistes, exprimant la joie qui règne dans l'Auberge du Cheval Blanc.
La postière, incarnée par Davina Kint, qui arrive en chantant de fameuses onomatopées tyroliennes (“La La Li Hou”) a une voix de soprano au grave posé, vocalisant avec élégance, vers un aigu fruité, en respectant justesse et précision. Léopold est interprété par Rémy Mathieu, qui exprime ses sentiments pour Josépha, sa patronne, en chantant : “une fois, rien qu’une fois”. Sa voix de ténor, au timbre lumineux est d’une justesse irréprochable, les paroles sont bien articulées, les vocalises précises avec des aigus brillants. Ce maître d’hôtel se présente avec son jeune assistant : Piccolo. Lorena Géa Mimmersheim campe cet enfant avec efficacité et sérieux. La diction du texte est rigoureuse, le jeu de scène qualitatif et son humour ravit le public.
L’intervention joyeuse et rythmée du chœur phocéen et des danseurs, annonce l’arrivée du bateau amenant deux voyageurs : Napoléon Bistagne et sa fille Sylvabelle. Le père est incarné par Michel Delfaud (remplaçant Philippe Fargues) qui joue d'une voix de baryton bien timbrée un personnage comique, haut en couleurs (Bistagne est loin de la Canebière, à son grand regret), s’exprimant avec l’accent marseillais, à la plus grande joie du public de l’Odéon. Un autre voyageur français se présente à l’auberge : Maître Florès (Marc Larcher), ténor séducteur, avec une voix au timbre légèrement métallique. Il chante cependant avec la projection d'une tessiture large la version vocale de “la bonne Auberge du Cheval Blanc”. Josépha (Caroline Géa), patronne de l’auberge, savoure sa présence et chante en duo avec Maître Florès, toujours sur le même leitmotiv. Sa voix de soprano, riche en couleurs, au médium solide et aux aigus timbrés, se mêle de façon équilibrée à la ligne vocale.
Maître Florès part en montagne et rencontre Sylvabelle (fille de Bistagne), interprétée par Charlotte Bonnet : une voix de soprano souple, nuancée, timbrée dans le grave, aérienne dans les aigus, évoluant avec une grâce constante dans le duo romantique “au pays bleu”. Le texte est bien articulé et Charlotte Bonnet module des aigus soyeux avec une aisance admirée. A la fin de cette scène, les danseurs entourent les amoureux et effectuent un numéro de claquettes, évoquant l’Amérique du début du XXème siècle.
Durant l’acte II, les ressorts comiques sont nourris par l’arrivée de nouveaux voyageurs à l’Auberge du Cheval Blanc. Le Professeur Hinzelmann (Claude Deschamps), représente le mythique Charlot, avec une attitude de savant fou. Fantaisiste et d'une présence efficace, il passe de façon fugitive. Il arrive au Tyrol avec sa fille Clara, qui parle peu et zozote beaucoup (Priscilla Beyrand). Elle succombe au charme du très original Célestin Cubisol (Gregory Juppin) qui se présente en chantant “on a l’béguin pour Célestin”. Sa voix franche, bien projetée, aux paroles nettement articulées et au timbre chaud dégage beaucoup d’énergie. Clara et Célestin forment un couple insolite, qui évoque Papagena et Papageno, dans La Flûte enchantée de Mozart. Dans un duo acrobatique et comique, “en avril qu’arriva-t’il”, Priscilla Beyrand chante par moment tête en bas, en zozotant, mais avec une ligne vocale fluide et harmonieuse, un souffle totalement maîtrisé.
L’arrivée imprévue de l’empereur François-Joseph (Jean-Luc Epitalon à la voix profonde d'une articulation modèle), pour le festival du tir, apporte une touche plus philosophique, avec ses réflexions sur la destinée, récitées sur un fond musical, permettant la réconciliation de Josépha et Léopold. Le finale réunit les trois couples d’amoureux : Josépha-Léopold, Clara-Célestin, Sylvabelle-Maître Florès devant un manège de fête foraine, projeté en fond de scène. Les autres solistes, danseurs et choristes sont réunis pour une reprise éblouissante du thème récurrent de “la bonne Auberge du Cheval Blanc”.
Le public marseillais, toujours aussi chaleureux, scande cette ultime version, en frappant dans les mains. Ce leitmotiv reste gravé dans les mémoires des mélomanes de la Canebière. L’ensemble de la troupe est ovationné par le public.