L’Opéra de Nancy dans la magie de La Flûte enchantée
Cette version signée par une artiste connue pour décloisonner les arts et les yeux, suscite visiblement la curiosité du public jeune et moins jeune, venu nombreux. Le décor, les costumes et les animations sont signés Hannah Oellinger et Manfred Reiner. Mais alors que les costumes sont fidèles à l’esprit classique de l’époque de Mozart, les décors et les animations font penser aux films de Walt Disney des années 1940-1950, enrichis de la qualité vidéo actuelle. Le décor principal forme un plateau tournant découpé en trois parties : la première est une cour avec une sortie en son centre, la deuxième une grotte, la troisième la cour intérieure d’un château, et son balcon d’inspiration romantique. L’ensemble tourne dans un sens ou dans l’autre en fonction des scènes, souvent même rideau ouvert. Les jeux de lumière signés Olaf Freese, suivent avec efficacité l’espace scénique, par la poursuite mais aussi le choix des couleurs pour favoriser le caractère sombre et froid de l’acte I, puis progressivement plus lumineux et chaleureux à l’acte II.
Dès l’Ouverture de l’opéra, les coups de baguette du chef Bas Wiegers sont rythmiquement très précis et dynamiques. Très vigilant, il dirige néanmoins l’orchestre en lui accordant toute la place nécessaire à l’introduction d’une atmosphère dansante. En dépit du choix de rendre très présents les instruments graves, et parfois un peu trop forts les tutti avec les chanteurs et chanteuses, il sait accompagner sans monopoliser l’attention.
Dès son entrée en scène, Papageno, incarné par Michael Nagl fait rire le jeune public, mais aussi un peu les autres. Le personnage est burlesque par son mimétisme du pigeon durant tout l’opéra -la mise en scène le fait littéralement voler par la suite. Sa voix de baryton lyrique, équilibrée dans le timbre et dotée d’un vibrato qui ne gêne pas une prononciation douce des consonnes, remplit l’espace scénique et musical sans difficulté. Le personnage initialement seul finira par trouver sa « Papagena » dans un duo comique avec la soprano Anita Rosati, dont la prononciation et la justesse de cette voix claire et volubile sont impeccables au regard de la difficulté de son air. Ayant finalement une seule véritable intervention, en dehors du personnage de la Vieille Dame, elle réussit également son entrée par un jeu théâtral qui reste bien en mémoire.
Tamino est interprété par le jeune ténor Jack Swanson. Avec une voix un peu moins puissante que Michael Nagl, mais avec un timbre en compensation plutôt riche, il parvient à attirer l’attention par la précision de ses intonations, par la rondeur de ses notes tenues, et par un jeu d’acteur assez comparable à celui de son compagnon de route. À noter que la Flûte enchantée, cet instrument magique tenu par Tamino pour l’aider à accomplir sa quête, est plus tenue ici comme une baquette magique que comme un instrument de musique (une des références amusantes à un fameux personnage de sorcier, qui n'échappe pas au jeune public).
La soprano Christina Gansch, qui interprète Pamina, utilise le même vibrato léger que Jack Swanson, gère calmement la puissance de sa voix lyrique, de la même façon et sans perception d’effort particulier, de sorte que leur couple (seulement réunis sur le tard) dégage une atmosphère de calme symbiose musicale. Même lorsque Christina Gansch chante en se tournant vers un côté de la scène, sa projection permet au spectateur de l’entendre pourtant distinctement.
Le rôle du vieux Sarastro est offert au jeune David Leigh. Caractérisé par un timbre de basse profonde qui pose avec délicatesse les notes les plus graves, alors même que son timbre dans les mediums est plutôt riche en harmoniques, il incarne une figure d’autorité qui, à l’opposé, cache sa douce bienveillance derrière une dureté de façade. David Leigh possède une puissance de coffre suffisante pour ce rôle, sans inertie, et la prononciation « classique », qui privilégie les voyelles et repousse les consonnes en toute fin de phrase, met en valeur une certaine rondeur de son timbre.
La fameuse Reine de la Nuit est incarnée par la soprano Christina Poulitsi, que la mise en scène oblige pendant la plupart de ses interventions à être suspendue à plusieurs mètres au-dessus de la scène, comme un personnage féérique. Elle dégage une présence physique investie alors même que sa voix ronde ce soir paraît un peu à l’économie. Sur un fil, comme retenant toute l’attention du public, elle chante ses fameux suraigus perchés dans les extrêmes et en arpèges, en laissant percevoir un effort visible au niveau des muscles de son cou et de sa respiration, alors même que son chant ne souffre d’aucune approximation. Le public s'empresse d’applaudir à la fin de son intervention.
Les trois Dames sont incarnées par les mezzo-sopranos Gala El Hadidi, et Ramya Roy ainsi que la soprano Susanna Hurrell, elles apparaissent comme des sœurs siamoises dans une large robe à crinoline triple. Offrant généralement un vibrato plutôt ample correspondant à leur rôle, ces trois dames se distinguent par un timbre assez doux dans les aigus pour la première, un timbre riche en harmoniques basses et chaleureux pour la deuxième, et un timbre assez scintillant pour la dernière, laissant néanmoins percevoir quelques difficultés pour distinguer les consonnes lors de ses interventions seules. Un bon équilibre entre elles apparaît dans les parties communes, mais le vibrato large est aussi un peu le point faible de leur diction, compensé par leur rôle très théâtral et amusant, qui fait sourire et même rire le public à chacune de leurs entrées.
Troublant l’atmosphère légère de l’opéra, Monostatos est interprété par le ténor Mark Omvlee, d’une voix claire et intelligible, de caractère, capable de puissance dans les medium-aigu, et d’une diction très nette. Traité de façon très théâtrale, Monostatos forme un duo comique avec Papageno, qui s’effraient mutuellement, aux rires appuyés du public.
L’Orateur, personnage dont le costume évoque un peu celui d’un cardinal, est interprété par le baryton-basse Christian Immler. Questionnant Sarastro sur la pureté des jeunes Pamina et Tamino, d’une voix ferme, un peu nasale, puissante à partir des medium-aigu, doté d’un vibrato ample et d'une prononciation facilement compréhensible, il donne à son rôle toute sa hauteur.
Le Chœur campe le rôle d’une armée de Sarastro. Leur voix puissante est bien coordonnée. Malgré leur disposition scénique parfois déstructurée, ils parviennent à chanter d’une seule et même voix. Deux lignes s’en détachent néanmoins, mais pour incarner le Premier et le Deuxième homme d’armes : le ténor expérimenté Ill Ju Lee, à la voix puissante, généreuse et équilibrée dans les registres, et le jeune baryton Benjamin Colin -par ailleurs aussi joueur de mandoline talentueux-, à la voix un peu moins puissante, qui, avec un peu de temps pourrait tirer vers un timbre de baryton lyrique. Tous deux forment un duo particulièrement apprécié, notamment lorsqu’ils accompagnent Tamino.
Enfin, les Trois Enfants, en raison d’une mise en isolement sanitaire, ont dû être remplacés par trois jeunes acteurs et trois chanteuses au vibrato large et au timbre chaleureux pour leur doublure voix. Une solution de rechange trouvée in extremis qui, finalement, trouve sa voie grâce aux voix justes et au jeu investi des jeunes acteurs qui respectent l’esprit de leurs rôles d’aidant des personnages principaux.
Les applaudissements sont nourris, même entre les airs, et les saluts durent presque dix minutes, témoignage d'une belle soirée et présage d’une bonne fin d’année.