Otello, 7 nuances de ténors à Liège
Malgré les embuches, l’Opéra Royal de Wallonie poursuit sa saison avec l’Otello de Rossini (auquel nous avons dédié récemment une série d’Airs du Jour). La réduction de la jauge des salles de spectacle à 200 personnes en Belgique, dénoncée unanimement par les institutions (les études réalisées montrant toutes que ces salles ne sont pas des lieux de contamination) laisse un petit goût amer, une réminiscence de ces temps récents où les opéras se jouaient devant des salles vides. Surtout, cet opus aux six rôles de ténors en aura nécessité un septième en ce jour de première. Sergey Romanovsky, dans le rôle-titre, est en effet annoncé souffrant. Il tente pourtant sa chance, délivrant son air d’entrée courageusement. Mais il est déjà évident que la voix ne tiendra pas jusqu’au bout de ce rôle exigeant : un pupitre est rapidement placé à l’avant-scène, devant lequel vient se placer sa doublure Anton Rositskiy, Sergey Romanovsky restant en charge des interactions théâtrales.
Durant son air d’entrée, Sergey Romanovsky a tout de même le temps de montrer une voix au timbre chaud et nourri, bien qu’écorchée, un phrasé précis malgré des quintes de toux régulières et un vibrato fin. Les graves sombres sont atteints avec facilité, tandis que le ténor use de son expérience pour alléger la voix lorsque celle-ci se trouve en peine. Anton Rositskiy sauve donc la représentation mais semble presque s’excuser auprès du chef de son apparition surprise. Les deux ne se quittent d’ailleurs pas des yeux, compensant par le geste les répétitions qu’ils n’ont pas eues. La doublure saisit sa chance pour étaler ses qualités. Sa voix capiteuse s’appuie sur des graves sûrs et un médium ensoleillé.
Rossinienne reconnue, Salome Jicia fait de Desdemona une femme forte, d’une voix fine et agile, piquante et piquée, qui sait pourtant garder du corps dans le médium. Son timbre riche s’apure dans l’aigu, ciselé et tranchant. Nuancé, son chant sait se montrer puissant ou sur un fil.
Maxim Mironov chante Rodrigo d’un timbre clair, bien projeté. La voix légère vocalise habilement, plongeant de l’aigu au grave, portée par un souffle immense et un vibrato rond et posé. Son interprétation théâtrale reste cependant lisse et peu expressive.
Giulio Pelligra est un Jago sûr de lui, au ténor sombre et à la voix bien assise. Sa mine patibulaire et désabusée campe un personnage aussi antipathique qu’espéré. Julie Bailly interprète Emilia en habituée des lieux, de sa voix moelleuse et satinée aux reflets brillants. Luca Dall'Amico est un Elmiro Barberico autoritaire par son phrasé et sa projection, et ténébreux par son timbre. Malgré un souffle bien tenu, la voix perd toutefois parfois sa stabilité, notamment dans l’aigu, ce qui rend au personnage une part d’humanité. Pierre Derhet est un Gondolier à la voix empreinte de gravité et de solennité, aux graves ténébreux et aux aigus bien tenus, dessinant de belles lignes. La voix est toutefois plus instable en Lucio. Xavier Petithan, issu du Chœur, interprète le rôle du Doge d’une voix fine et scandée.
Maurizio Benini est placé à la tête de l’Orchestre et du Chœur de l’Opéra, qu’il dirige sans baguette. Il dessine la musique rossinienne dans de grands élans à traits fins, vifs et colorés. Les solistes se montrent à leur avantage : le hautbois est doux et mélancolique, les trompettes précises et rythmées, les cors au son doux, la harpe poétique. Le Chœur se montre quant à lui bien en place et expressif, bien que le port du masque étouffe le son. La partition de Rossini trouve sa singularité, malgré les nombreuses autocitations, notamment du Turc en Italie composé deux ans auparavant, du Barbier écrit quelques mois plus tôt, et de La Cenerentola créée le mois suivant.
La mise en scène d’Emilio Sagi, esthétique et statique, place l’intrigue après la Grande Guerre, dans un riche intérieur où se jouent les luttes de pouvoir, les haines et les amours. L’absence de mouvements nuit à l’intensité du drame dont le dénouement garde toutefois sa puissance.
Les 200 spectateurs font part de leur enthousiasme lorsque la lumière s’éteint, remerciant les artistes d’avoir permis au spectacle de se tenir, envers et contre tout.