Concert-mystère de MusicAeterna à la Philharmonie de Paris
Dans l'esprit de mystère entourant cet ensemble, et pour que le public se laisse porter d'œuvre en œuvre dans une expérience sensorielle se voulant inédite, la consigne est donnée de ne distribuer aucun programme en début de concert (il est donné à la fin du concert, présentant les œuvres mais dans le désordre : laissant le spectateur résoudre l’énigme d'après ses souvenirs et connaissance).
Dans un silence concentré quasi religieux, l’auditoire s’imprègne des univers musicaux d’œuvres du XXème et XXIème siècle (Tōru Takemitsu, Giacinto Scelsi, Arvo Pärt, Iannis Xenakis, Tristan Murail et Alexey Retinsky). Deux pièces plus anciennes sont insérées au programme (Deuxième Récréation de musique de Jean-Marie Leclair et Weep you no more, sad fountains de John Dowland), créant ainsi un pont musical trans-temporel.
A son entrée en salle, le public découvre l’installation scénique propice à une certaine spatialisation qui se révèle notamment dans la pièce Archipelago S. de Takemitsu. Figurant au plus près les îles et les archipels de l'œuvre, les instrumentistes sont répartis en trois groupes auxquels s’adjoignent deux clarinettistes intervenant des premiers balcons de côtés. Les timbres des instruments s’élèvent, se répondent et se rejoignent ainsi dans une osmose enthousiaste.
Le voyage proposé, d'île mystérieuse en île mystérieuse, fait entendre des univers musicaux axés sur un travail de la matière sonore qui captivent et envoûtent l’auditoire. La pièce d’ouverture, Natura renovatur de Scelsi, en est représentative avec ses strates de cordes créant des sonorités mouvantes et ondoyantes. Dans un grand contraste d’intensité, Rebonds B de Xenakis pour percussions est joué intégralement fortissimo mais participe cependant au magnétisme du concert avec le rythme régulier et répété des bongos.
Ces différentes œuvres révèlent les multiples talents des musiciens de l’ensemble musicAeterna aussi bien comme solistes virtuoses que comme chambristes confirmés. D'autant qu'à leur tête, Fedor Lednev s’implique totalement afin de défendre ce répertoire exigeant.
Cependant, le groupe apparaît amputé d’une de ses composantes car, pour des raisons sanitaires, les choristes n’ont pu effectuer le voyage jusqu’à Paris. Le programme a donc été adapté, la voix figurant toutefois dans trois pièces interprétées par trois chanteurs rescapés : les sopranos Ekaterina Dondukova et Elene Gvritishvilli dont les voix sont amplifiées et le contre-ténor Andrey Nemzer. Dans Bride song de Retinsky la première mêle son timbre clair aux sonorités lumineuses de l’ensemble et notamment à celle particulière du vibraphone frotté avec un archet. Sa voix ductile épouse les modes de chant variés (petits cris, soupirs) avec virtuosité. La seconde interprète la pièce de Dowland dans une douceur extrême et son chant aérien et délicat évoque les larmes de façon aussi irrésistible que la scie musicale dans le prélude.
Dominant la salle de concert, le contre-ténor interprète My heart’s in the Highlands d’Arvo Pärt niché aux côtés de l’orgue. Sa voix riche et projetée donne vie aux notes répétées de la pièce, ses mouvements de bras éloquents l’aidant à investir chaque parole.
Surpris par la fin du concert qui s’achève dans une douceur recueillie, le public témoigne de son émotion en applaudissements chaleureux qui font suite à son écoute attentive et intense tout au long de ce concert-mystère.