Juan Diego Flórez à fleur de peau à la Philharmonie
Juan Diego Flórez arrive sur scène d'un pas leste, suivi de près par Vincenzo Scalera, son pianiste, qui à peine assis entame les premières mesures d'An Sylvia (Schubert). La voix, immédiatement ronde et claire, se chauffe peu à peu au gré de ce morceau confortable. Le phrasé, déjà, impressionne par sa longueur et l'engagement complet du corps dans son émission. C'est un trait physique qui ne quittera pas l'artiste jusqu'à la fin du récital, d'autant plus apprécié qu'il apporte théâtre et expression aux textes chantés par une gestuelle juste et charismatique. Les deux autres Lieder, An die Musik et Serenade, relativement graves dans leur écriture, ne permettent pas tout à fait à la voix de s'épanouir et certains sons arrivent blanchis dans les notes les plus basses.
C'est avec Bellini, et notamment dans la mélodie Per pietà, bell'idol mio, que le ténor péruvien parachève sa chauffe et parvient à se détacher d'une musicalité prudente et mesurée pour oser des effets et des nuances en proportion à ses moyens retrouvés. Le timbre s'ouvre, s'étend et brille dans le haut medium jusqu'à l'aigu qui, souvent, vient crânement couronner les Lieder et mélodies italiennes. La voix, elle, se pare de nouvelles couleurs, tirant vers un métal à la fois plus dur et tranchant, sans jamais casser la ligne ni même entamer la rondeur de l'émission. C'est d'ailleurs cette maîtrise technique qui fait le sel des airs comme "Inosservato penetrava... Angelo casto e bel" (Il duca d'Alba, Donizetti) et "Je veux encore entendre ta voix" (Jerusalem, Verdi) où la souplesse de l'instrument n'est jamais dépassée ou mise à mal, malgré une implication et une générosité artistiques croissantes.
Vincenzo Scalera, à ses côtés, est d'une grande dextérité, à la fois dans la qualité de son jeu, ses mains fluides et légères sur le clavier, et dans son soutien permanent du chanteur : regard, gestes convenus, respiration commune, les deux artistes communiquent avec une aisance qui rend des moments particulièrement forts et sans aucune fausse note ou manque de goût. Le pianiste italien est grandement applaudi après son morceau solo Largo e tema en fa mineur (Bellini) qui se mêle pleinement à la thématique belcantiste de la soirée et maîtrise aussi la dynamique de son instrument dont l'éclat ne couvre jamais la voix du chanteur.
Après "Torna ai felici dì" (Le Villi, Puccini) lancé d'une voix sonore, Juan Diego Flórez arrive pour les bis sous les acclamations d'un public heureux de le voir revenir guitare en main. C'est avec quelques chansons napolitaines et d'Amérique latine que le ténor séduit une nouvelle fois, laissant la jeunesse intacte de son timbre jongler entre la voix de fausset et la voix pleine, notamment dans "Cucurrucucú paloma" demandé par un membre du public. La générosité de l'interprète le fait revenir trois autres fois sur scène, avec pianiste cette fois, pour interpréter notamment le célèbre air aux contre-uts "Ah mes amis !" extrait de La Fille du Régiment (Donizetti) et, en clôture de soirée, "Nessun Dorma" (Turandot, Puccini) fièrement émis par un artiste sensible au sommet de ses moyens.