Lawrence Foster et Cyrille Dubois à Marseille : petite et grande musique de nuit
Le programme gravite autour de la nuit, depuis l’aurore jusqu’à l’aube, et questionne les mystères de l’endormissement, du rêve, plus ou moins fantastique ou lucide, et de la peur, furtive, de ne pas voir le soleil se lever. Le motif obsédant d’une Folia (Antonio Salieri et ses Variations sur La Folia di Spagna) vient hypnotiser l’auditeur, comme pour inspirer des songes reposants (avec Le Songe d'une nuit d'été de Mendelssohn). La musique est également une ode au silence sombrement boisé ainsi qu’une invitation au voyage en Bohème (Antonín Dvořák, son Bois silencieux, ou encore son Rondo pour violoncelle en sol mineur, interprété par Xavier Chatillon). Le programme est ainsi conçu comme un voyage d’été, d’hiver et divers, qui fait de la musique l’écrin douillet et duveteux de la voix.
Lawrence Foster, Directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de Marseille depuis 2012, déploie une conduite subtile et raffinée, pudique et énergique, exacte et aérée, fil conducteur de cette soirée symphonique ouatée et poudreuse. Sa gestique, d’une grande économie de moyen, est efficace, tandis qu’il engage toute l’énergie de son corps, avec une certaine noblesse, et sans mouvement superflu. Il distribue les entrées depuis un index, qui n’est jamais accusateur, mais, au contraire, profondément respectueux des musiciens, à qui il semble s’adresser personnellement, tant dans les passages chambristes que lorsque l’orchestre est réuni en majesté (Dvořák et surtout Mendelssohn). Il insuffle en chacun d’eux, l’énergie vitale de la musique, sa pulsation vivante, qui traverse un programme au baroque et au romantisme les plus tardifs, depuis Salieri jusqu’à Britten. Le chef insuffle ainsi au plateau, avec intensité, la délicatesse et subtilité qui gagne le trio de solistes (ténor, cor et violoncelle) dans une même communion intime, intérieure et recueillie. Les palpitations oniriques d’une petite musique de nuit, furtive et sereine, vient bercer l’auditoire, dont les applaudissements n’attendent pas toujours la fin des cycles. À l'issue du concert, le premier violon, au nom de tout l’orchestre, rend hommage au maestro très ému, pour ses quatre-vingts ans.
Cyrille Dubois confère à la Sérénade pour ténor, cor et cordes de Benjamin Britten l’insistante prière d’un amant, chaudement étirée par le cor de Julien Desplanque (moins dans l’esprit d’un divertissement amoureux et léger, et pour cause : cette Sérénade renvoie à la “nuit” de la Seconde Guerre Mondiale durant laquelle elle fut composée). Le ténor assemble avec à propos les propos de cette pièce qui est un cycle sur des poèmes anglais. Le ruban lumineux de son timbre, l’accentuation tonique de sa diction et un art physique du soutien abdominal servent la fluidité structurée de son phrasé. Il compose à son tour, l’expression caractérisée d’une palette d’émotions intimes, rassemble et raffine les genres mobilisés pour chaque poème et chaque mélodie. Le ténor vocalise savamment, chaque accent tonique de la langue anglaise est habité d’un souffle qui s’enfle sur son vibrato et le tapis des cordes (tour à tour moelleux ou grinçant). Sa projection sait être incisive, afin de gagner les lointains de la salle, graduant les amplifications à la faveur du texte.
Le public, encore trop malheureusement clairsemé, applaudit avec un crépitement insistant l’instant lyrico-symphonique qu’il vient de vivre, avant de s’en retourner dans la nuit glacée.