Un Requiem imaginaire avec Jean-François Zygel à La Seine Musicale
C’est avec un sourire amusé aux lèvres que Jean-François Zygel déboule sur la scène en s’excusant d’être en retard pour sa propre cérémonie d’adieu, après que les chanteurs de l’Ensemble Spirito sont rentrés un à un pour se recueillir sur le grand piano de concert recouvert d’un voile noir. Une mise en abyme à la fois drôle et tragique pour pénétrer dans le monde si particulier des musiques funèbres qui ont occupé tant de compositeurs de renom, par commande ou par goût personnel. Le voyage initiatique débute par les premières pages aériennes et limpides du Lux aeterna de Ligeti, où les harmoniques cristallines des voix de femmes s’entrechoquent dans l’espace du grand auditorium de La Seine Musicale.
Jean-François Zygel, surtout connu pour ses émissions télévisuelles et radiophoniques de vulgarisation du grand répertoire auprès du grand public, n’est cependant pas ici pour expliquer les œuvres qui vont être interprétées au cours de la soirée. Il s’agit bien là d’un récital d’ensemble vocal, néanmoins enrichi par des improvisations pianistiques très inspirées, Zygel réalisant entre chaque pièce chantée un pont musical issu de son imagination fertile, comme pour commenter chaque pièce, l’agrémenter, lui proposer un prolongement inventif et créer ainsi une sorte de fil rouge qui guide la soirée comme autant de dalles pour poser ses pieds lors de la visite d’un jardin zen japonais.
Car malgré le thème à priori douloureux proposé par le titre du concert, c’est bien d’un évènement zen qu’il s’agit : pas de pathos dans l’interprétation, pas de larmes, juste de la concentration et de la sérénité dans ce déroulé paisible. Le Lacrimosa du Requiem de Mozart est ici rendu dans la simplicité de son balancement réconfortant, le Bogorodistse Devo de Rachmaninov restitué avec un calme olympien, ou encore l’In Paradisum du Requiem de Fauré déclamé avec des éclats d’or dans les longues phrases planantes des sopranos de l’Ensemble Spirito.
Nicole Corti décortique chaque pièce avec une précision et un souci de détail louable, des phrasés très délicats et une ferveur touchante. Le son chaleureux qui s’en dégage ainsi que la justesse irréprochable de ses chanteurs ajoutent à l’atmosphère apaisée de la soirée. Toutefois, les pièces chantées à un par voix comme le Hear my prayer de Purcell ou le Komm, Jesu, komm de Bach sonnent un peu lointaines et dénudées dans cette grande salle, alors que la spatialisation des chanteurs en tutti offre dès les premières notes un rendu étoffé et plein, particulièrement dans la Symphonie de Psaumes de Stravinsky ou le Stabat mater dolorosa de Poulenc. Une attention toute particulière est portée à une composition de Zygel lui-même pour chœur, un Kaddish en araméen, pièce dissonante, très rythmique, où les implorations percussives des voix font mouche.
Jean-François Zygel, grâce à ses improvisations fournies et inspirées, complète le tableau avec éloquence, partant dans des digressions parfois très contemporaines, parfois très classiques, avec des mouvements très amples que son piano de concert décuple, ou encore dans des rêveries délicates et légères, plongeant son auditoire dans une attention émue. Une cérémonie funèbre conçue finalement comme un hymne à la vie et à la musique.