L’Instant Lyrique de Marie-Nicole Lemieux inaugure le Salon Marguerite Salle Gaveau
Entrant dans le hall de la Salle Gaveau, le public est invité à monter au cinquième étage, passant devant la grande salle où résonne la voix de Fabrice Luchini pour arriver au salon Marguerite qu’inaugure ce soir la mezzo canadienne. La salle est petite, faite de deux salons qui se touchent, avec des places sans pleine visibilité. Néanmoins, tout en bois, l’espace est intime et chaleureux, idéal pour la mélodie.
Le programme du soir, comme l’explique Marie-Nicole Lemieux avec bonne humeur, est extrait d’un projet Goethe-Baudelaire, donnant une place centrale au texte (et quels textes !). D’abord un peu nerveuse, la chanteuse respire profondément et se lance dans Kennst du das Land (Connais-tu le pays) de Schumann. La voix se déploie, puissante et sombre, le son enveloppe immédiatement l’auditoire. Si le timbre est opulent, vibrant et ample, la voix, placée en arrière, manque par moments d’une clarté plus évidente et simple. Néanmoins, la chanteuse possède une prononciation modèle, limpide, sans être ostentatoire, et toujours expressive. La mezzo maîtrise aussi cet art délicat de faire ressortir certains mots sans perdre de vue le sens global d’un poème, rendant accessibles et émouvants des textes parfois denses. De plus, elle trouve en Daniel Blumenthal un partenaire pianiste attentif, soutenant la ligne de chant et sachant accompagner les nuances de la voix.
Les bras au repos, c’est le corps entier de la chanteuse qui s’engage dans le texte mais elle sait aussi distinguer d’un regard l’atmosphère de chaque Lied : Der Musensohn (l’enfant des muses) de Schubert est spirituel, Harfners Lied de Fanny Mendelssohn majestueux et poignant. La voix s’assoit peu à peu, allant chercher ses fondations dans un grave franc et poitriné. La chanteuse se jette à corps perdu dans les Lieder plus dramatiques. Le chant se fait alors très athlétique et forte avec des aigus puissants qui font trembler sa cage thoracique. Le résultat impressionne un public enthousiaste.
Après une courte pause, la chanteuse revient pour faire entendre les mots de Baudelaire (L’Albatros de Chausson, Les Hiboux de Déodat de Séverac) dans un répertoire qu’elle connaît bien et où la voix trouve ses marques : le texte sonne avec évidence. Chaleureuse, la mezzo ne cache pas ses émotions et plaisante avec le public entre deux mélodies, brisant ce que peut avoir de trop solennel un récital, tout en sachant intimer le silence d’un regard où apparaît déjà l’atmosphère du prochain morceau.
C’est probablement dans Le Jet d’eau par Debussy que l’art de conteuse de Marie-Nicole Lemieux est le plus éclatant, la voix se glisse dans les harmonies, animant la prosodie si proche du parler avec émotion et simplicité mais elle déploie ensuite et enfin toute l’ampleur de son instrument dans les deux mélodies de Duparc (L’Invitation au Voyage et La Vie antérieure), répertoire qui tire vers l’opéra et que la chanteuse tire vers l’opéra.
Le public visiblement conquis est récompensé par deux bis : un autre “Connais-tu le pays” extrait du Mignon d’Ambroise Thomas mais aussi Le Flacon de Léo Ferré (Goethe et Baudelaire toujours) chanté avec une voix de poitrine impressionnante, où chaque mot ressort, dans une version étonnante mais qui donne envie d’en entendre davantage.