Virée nocturne et master-classe avec Véronique Gens à Lille
Ce passage en deux temps permet d’apprécier deux formes artistiques différentes et complémentaires, et par là-même à Véronique Gens d’illustrer effectivement combien elle applique ce qu’elle prêche. Les mélodies françaises interprétées dans son récital ont été taillées à sa mesure par les arrangements du Palazzetto Bru Zane avec l’ensemble I Giardini, comme la chanteuse offre deux semaines plus tard des conseils sur mesures aux jeunes voix. Tout est question de résonances et de réunions : entre poème et musique dans ces œuvres choisies (Baudelaire, Verlaine, Ropartz notamment), entre harmonies savantes et naturel de chanson, entre chanteuse et ensemble de chambre, entre toutes les nuits aussi (notamment nuit d’ivresse et nuit d’amour). La première partie du récital s’ouvre sur un clair obscur d’arpèges rêveurs aux instruments. Elle s’ouvre grâce au timbre impérieux de la chanteuse et à sa prosodie soignée, entre la gravité aux accents angoissants et des rires, vers les années folles et la mélancolie : de l'angoisse à la Vie en Rose avec chaleurs et couleurs.
Ce qu’elle met ainsi en application, elle le détaille ensuite en explications dans la master-classe, décomposant chacun des airs pour inciter ses jeunes élèves d’un soir à déclamer. Au programme, les mélodies françaises évidemment, avec une soprano colorature, une mezzo et un baryton. Véronique Gens campe de manière très investie sa posture de professeure et engage un travail du texte pour chaque artiste rencontré. Outre le plaisir d’apprendre, c’est une opportunité d’appréhender les secrets de son interprétation et quelques secrets de fabrique.
Trois conseils importants sont à retenir : dérouler des images avec intentions pour transporter le public dès les premières notes (comme dans la Nuit d’Espagne de Massenet), s’appuyer sur la parole avec les consonnes, fusionner texte et musique dans le respect de leur complémentarité.
Gwendoline Druesnes, quoique soprano colorature, présente des graves et médiums modelés et chauds, avec toutefois un passage dans les suraigus parfois chancelant. Le timbre gagnera à s’étoffer et à se desserrer (mais elle semble visiblement émue d’avoir choisi une mélodie interprétée par Véronique Gens sur son album). En se libérant progressivement de l’appréhension, elle parvient effectivement à composer un paysage, en y embarquant son auditoire.
Le baryton Matheus Gomes Tiburcio est également victime d’un cruel manque de confiance, bloquant dans la mâchoire ses résonances basses, l’empêchant hélas de déployer son timbre cuivré et ses aigus affirmés. Il semblerait toutefois lui suffire de débloquer son placement, laryngé, pour remonter le son vers le masque et atteindre le potentiel de ses harmoniques, notamment aiguës, avec amplitude.
La mezzo Mathilde Legrand déploie le paradoxe d’une voix dense et aérienne à la fois, emplissant avec volupté l’espace sans effort superflu, comme une brume. Le timbre sombre et velouté s’accommode à merveilles du texte de Baudelaire et des arpèges rêveurs de la mélodie de Duparc. Après un travail sur le texte, le résultat magnétise encore davantage le public, qui voit la jeune chanteuse et sa professeure sculpter ensemble le phrasé au mot à mot.
Le public applaudit les jeunes chanteurs en devenir, et fait résonner à deux semaines d’écart des applaudissements aussi riches pour Véronique Gens chanteuse que professeure.