La Giuditta par l’Académie de Paris à Evian
L’alliance de Thibault Noally et de son ensemble Les accents avec cinq des jeunes chanteurs de l’Académie de l’Opéra national de Paris mène à cette vibrante interprétation de l’oratorio d’Alessandro Scarlatti : La Giuditta.
Thibault Noally a créé son ensemble Les accents en 2014 dans le cadre du Festival baroque et romantique de Beaune, pour ensuite explorer au Festival de Musique de La Chaise-Dieu, où il est en résidence, le répertoire des cantates de Scarlatti. Il guide ainsi désormais les jeunes académiciens sur le terrain de ce répertoire spécifique, dont il maîtrise l’ensemble des enjeux.
Comme de nombreuses œuvres baroques, cette Giuditta créée en 1693 à Rome fait l’objet de nouvelles recherches musicologiques sur la base des sources existantes (le choix s’est porté sur la version à cinq voix dite de Naples). De fait, Thibault Noally travaille actuellement à définir une nouvelle version de l’œuvre, le matériel d’orchestre faisant défaut, ce comme il l’a fait pour l’oratorio San Filippo Neri représenté à La Chaise-Dieu cet été. Pour autant, la version qu’il propose aujourd’hui, alternant airs relativement brefs, récitatifs et parties instrumentales seules avec ses Sinfonie aux trompettes, déploie une musique pleine et ardemment palpitante emplie de contrastes, de vigueur, avec des moments de grand raffinement et des aspects plus martiaux, voire guerriers. La figure de Judith de Béthulie, séduisant et décapitant le Général ennemi Holopherne, domine bien entendu le propos d’ensemble. Une figure nouvelle est cependant introduite par le compositeur et son librettiste -a priori, le prolifique Cardinal Benedetto Pamphili-, celle d’Achéor, capitaine philistin qui, révolté par la brutalité d’Holopherne, passe dans le camp des israélites.
Dans le rôle de Giuditta, la mezzo-soprano française Marine Chagnon, arrivée à l’Académie en septembre dernier, trouve les plus justes accents et démontre une sensibilité naturelle qui s’allie à merveille aux démonstrations d’amour simulées dont elle se voit contrainte d’user pour griser le Général Philistin et l’occire. La voix est conduite avec habileté, claire de timbre et d’une grande densité d’ensemble. Elle trouve de majestueux et doucereux accents lorsqu’elle chante la singulière berceuse, soutenue par deux flûtes à bec que Scarlatti introduit à cet instant précis, devant endormir le fier guerrier afin de mieux l’exécuter durant son sommeil. Cette scène intense, et la suivante très brève marquant l’épisode de la décapitation en elle-même, possèdent indéniablement une grande force dramatique de type opératique. Marine Chagnon y forme un couple détonnant avec le contre-ténor Fernando Escalona issu entre autres du Centre de Musique Baroque de Versailles et initialement formé au sein du mouvement El Sistema du Venezuela, son pays d’origine. La voix de Fernando Escalona, sans paraître très large, séduit par sa ductilité, sa sensualité expressive, l’élégance du phrasé et un vibrato bien affirmé. Le superbe duo d’amour Giuditta/Holopherne "Mio conforto/Mia speranza", déjà très connoté par la musique de Scarlatti et qui précède la mort du Général, se trouve encore accentué par un jeu presque lascif et subtil établi entre les deux interprètes.
Le ténor Kiup Lee, déjà très convaincant dans le rôle du Chœur Masculin dans Le Viol de Lucrèce de Benjamin Britten aux Bouffes-du-Nord en mai dernier, ajoute une corde à son arc avec ce personnage somme toute attachant du capitaine Achéor : sa voix souple et bien timbrée s’adapte à ce rôle ambivalent.
Aaron Pendleton incarne Il Sacerdote avec la puissance requise et une voix de basse imposante, mais moins rompue aux exigences de ce répertoire baroque qui sollicite un raffinement plus effectif. Dans le rôle du Prince Ozia, la soprano Ilanah Lobel-Torres fait preuve de virtuosité et d’une parfaite tenue, irradiant une ligne de chant toujours précise et élégante.
Avec cet enthousiasme et cette fougue qui le caractérisent, Thibault Noally titulaire du poste de premier violon, dirige Les accents avec habileté, particulièrement attentif à ses jeunes interprètes solistes, aux lignes directrices de l’œuvre, aux accents si divers que cette dernière dégage, ce dans un panache de couleurs et de subtilités auquel la merveilleuse acoustique de La Grange au Lac rend pleinement justice.