Truculent Baron de Münchhausen au Théâtre Impérial de Compiègne
Les artisans de ce projet fou (qui nous le détaillent dans un grand article de présentation) se sont donc emparés de tout l'excès de ces aventures du Baron de Münchhausen, aventurier légendaire du XVIIIe siècle, et les ont concentrées dans sa chambre, qui ressemble davantage à un cabinet de curiosités. Le spectateur du Théâtre Impérial de Compiègne y est ainsi invité, pour assister aux derniers instants du baron. Entouré de sa femme, de son médecin et de son confesseur, il cède à ses délires et se remémore ses plus invraisemblables aventures.
Patrice Thibaud, qui signe le livret de cette « comédie lyrique baroque » en un acte ainsi que la mise en scène avec l’assistance d’Eva Foudral, endosse également le costume de ce super-héros, déployant ainsi tous ses talents de comédien. Par sa maîtrise de l’art de la grimace et son inventivité de mime, le jeu de Patrice Thibaud est tout simplement hilarant pour tout le public tout au long du spectacle. Ses mimes fascinants sont "délirants" mais en permettant très aisément au spectateur de tout comprendre et de tout imaginer : sa provocation burlesque avec la mort qui vient frapper à sa porte, sa lutte courageuse avec les ottomans ou les pirates, sa poétique promenade sous-marine à la rescousse de sa future femme (ou même sa bienveillante moquerie envers les musiciens de l’orchestre).
Avec une pointe d’impertinence et un soupçon de poésie, notamment grâce à quelques ombres chinoises dans le décor, une bonne dose d’humour de répétition subtilement rythmé par des effets de contraste ou de décalage, tout est toujours très drôle. Il peut également compter sur la complicité de chacun, à commencer par celle du maestro Hervé Niquet. Ensemble, ils restent maîtres du temps et du rythme du spectacle. Même si l’improvisation semble parfois complètement libre, elle reste cadrée et en parfaite synchronisation avec les accompagnements instrumentaux qui illustrent l'action, sans tomber néanmoins dans le figuralisme automatique.
Hervé Niquet n'est également pas le dernier à (se) faire plaisir, en jouant aussi la comédie, surtout en début de soirée avant l’arrivée du personnage principal. Pour accompagner les péripéties passées du baron et ses derniers instants burlesques avec ses proches, le chef d’orchestre a réuni et transcrit des œuvres de musique composées au temps de la Régence, écrivant aussi parfois quelques transitions, avec l’assistance et les conseils musicologiques de Benoît Dratwicki du Centre de musique baroque de Versailles et de la claviériste Elisabeth Geiger. Pour ces musiques souvent légères et pour l’effectif réduit de ses neuf musiciens, la direction droite et sûre du chef évite toute présence superflue, veillant surtout à la bonne entente entre le plateau et la fosse, ainsi qu’à la cohérence globale des phrasés et des dynamiques. L’acoustique du Théâtre Impérial aidant, il est facile d’entendre distinctement chacun des instrumentistes, offrant un son d’ensemble homogène mais en gardant les caractères légers de certains numéros et les identités des timbres (parfois même un peu bruts). Les œuvres, en effet, ne manquent pas de caractère et soutiennent l’action délirante du plateau : l’éclectisme –de Rameau, Campra, Grétry, Montéclair, Boismortier et d’autres encore– ne fait pas défaut. Toutes ne sont certes pas des chefs-d’œuvre mémorables mais permettent de découvrir de gais extraits de La Fête de Diane de Francois Collin de Blamont, aussi bien que de reconnaître le Te Deum de Charpentier.
Côté plateau vocal, la baronne de Münchhausen est interprétée par la soprano Axelle Fanyo, au timbre charpenté, très agréable par la chaleur des graves et la rondeur claire des aigus (qui pourraient encore s'élargir). Son tendre air « Mon doudou, reste avec moi » sur le Scylla et Glaucus de Jean-Marie Leclair, est soutenu par de très jolies couleurs piano du Chœur du Concert Spirituel. Le curé du baron est personnifié par le baryton Romain Dayez, très agile comédien qui partage notamment, en incarnant d’abord un messager benêt, son accent belge et ses talents de parler-chanter sur un air composé spécialement par François Saint-Yves (claveciniste du Concert Spirituel). Son entrée en curé est également remarquée, dans une assez drôle (de) satyre de l’ecclésiastique, sur un faux air grégorien et dans un superbe latin de cuisine. Son rival est le médecin du baron, interprété par le baryton Jean-Gabriel Saint Martin, au timbre particulièrement chaud, noble et brillant, tout en offrant un texte très intelligible.
Le Chœur du Concert Spirituel fait également preuve de très appréciables talents de comédiens, notamment lors d’imitations d’animaux aussi amusantes que convaincantes. Mais c’est surtout sur le plan musical qu’il convainc, toujours très beau de son, assez homogène bien que seulement constitué de neuf artistes. Les couleurs vocales rappellent le sérieux même dans l’amusement, et l’extrait du Requiem d’André Campra résonne ainsi lorsque la mort en personne (dans le magnifique costume d’Isabelle Beaudouin) vainc finalement le vaillant baron.
Le numéro final est à l'image du spectacle : chacun intervient pour partager sa propre pseudo-morale sur son personnage comme dans une comédie musicale. Patrice Thibaud l'assume sans détour : « Ce qui me plaît, c’est d’faire le c** ! ». Avec cette production déjantée, sans aucune "prise de tête" bien que la soirée soit riche en allusions et en références, les artistes partagent leurs passions pour la musique (post-baroque) et la scène. Un plaisir qu’ils savent communiquer au public qui, lui aussi, s’est bien amusé !