À Saint-Germain-des-Prés, l’Italie royale à portée de voix
Le programme du concert a été préparé avec minutie, et l’auditoire salue aussi ce désir de cohérence. Les deux parties du concert sont composées chacune autour d’une pièce instrumentale délicate, qui succède à une pièce d’ouverture vocale. La première partie s'appuie sur une dimension religieuse très importante, et revendiquée par Jean-Philippe Sarcos, notamment dans le choix d’une procession (dans cette église de Saint-Germain-des-Prés) pendant Iste Confessor de Domenico Scarlatti (1685-1757), ouverture du concert et entrée des chanteurs. Une pièce plus longue, avec un Stabat Mater à dix voix conclut cette première partie. La seconde délaisse alors le sérieux de la première partie, pour prendre franchement le parti de la joie.
L’acoustique difficile du lieu, avec des sons qui tournent beaucoup, gêne toutefois la bonne perception et brouille les intentions des dix voix, pour le spectateur comme pour les chanteurs et musiciens entre eux. La justesse comme le rythme sont difficilement tenus, mais le grand volontarisme des artistes compense, par leur dynamisme, ces difficultés techniques. La seconde partie, beaucoup moins en tension, met davantage en valeur les envolées lyriques avec ses jeux de vocalises et doublage, cette fameuse « virtuosité », dans laquelle s’illustrent ici les deux violonistes Claire Jolivet et Bénédicte Pernet.
La grande pièce, extrêmement technique du concert, est le Stabat Mater de Domenico Scarlatti. Les performances des chanteurs sur cette longue page de près d’une demi-heure sont cependant assez inconstantes, avec une tension qui se fait quelque peu poussive, et un certain manque d’agilité dans les vocalises des dernières minutes. La distanciation physique confine à de jolies percées individuelles, rarement suivies par une cohésion musicale d’ensemble (malgré la grande amitié perceptible entre les chanteurs), ou du moins pas avant l’apothéose du Credo, dont la séquence a cappella met en valeur le jeu de nuances. Les quatre sopranos Cécile Madelin, Julie Prola, Thaïs Raï-Westphal et Claire-Elie Tenet tirent globalement mieux leur épingle du jeu, individuellement comme collectivement, avec des voix puissantes et sonores, parmi lesquelles Thaïs Raï-Westphal ressort toujours très juste et puissante, avec une belle projection du son. Son entrée soliste dans Iste Confessor est ainsi assez inspirée, et assumée avec une technique sans défaut. Julie Prola lui vole un peu la vedette pendant le Stabat Mater, avec une certaine fraîcheur dans la voix qui n’enlève jamais à la tenue de la ligne vocale. Claire-Elie Tenet et Cécile Madelin sont plus discrètes, mais toujours très professionnelles. La première montre certes quelques signes d’essoufflement dans des tenues un peu forcées, tandis que la seconde manque d’engagement vocal, dans des parties souvent timides.
Les deux altos restent en seconde ligne, avec Charlotte Mercier et Delphine Guévar, bien trop souvent discrètes, mais qui se rattrapent plus tard dans le Lauda Jerusalem, avec des vocalises chaudes et tout en souplesse. Le ténor Tsanta Ratianarinaivo se fait remarquer par ses jeux de voix extrêmement accomplis, et un timbre nasillard projeté dans des vocalises précises et rythmiques qui le distingue de Mathys Lagier, ténor plus consensuel et qui soigne davantage sa présence et son interprétation, avec une voix claire. Les barytons-basses Lucas Bacro et Adrien Fournaison sont plutôt en dessous dans le Stabat Mater, mais ils se rattrapent avec beaucoup d’élégance dans le début du Credo d’Antonio Lotti, par des voix chaudes et posées, tout en rondeur. Lucas Bacro montre ainsi une certaine aisance dramatique, avec un son large, quand Adrien Fournaison incarne davantage la ligne mélodique.
Si le cheminement fait par le concert n’est pas si loin d’un parcours de foi, il est aussi spatial et temporel : Jean-Philippe Sarcos, par la voix de ses chanteurs -en costumes-, transporte en Italie pour un voyage tourbillonnant et qui se conclut par le Laetus sum de Vivaldi, terminaison heureuse et enlevée.