Triomphe(s) de Napoléon aux Invalides
Au-delà du puissant outil politique au service de la splendeur et de l’éclat de l’Empire, la musique fut une véritable passion pour Napoléon Ier célébrée à nouveau cette saison et ce soir devant un public hautement gradé et en présence de la Ministre déléguée auprès de la ministre des Armées, chargée de la Mémoire et des Anciens combattants. L'Académie symphonique de Paris et le chœur des Voix impériales font entendre en première partie des extraits d’œuvres illustrant l’ascension du Général Bonaparte jusqu’à son sacre, avant de proposer en seconde partie un florilège d’extraits d’œuvres interprétées en 1921 à l’occasion du centenaire de la mort de l’empereur.
Les seize choristes des Voix impériales sont bien mis en valeur, placés devant l’orchestre. Ils peuvent compter sur des éléments solides dans chacun des pupitres, leur donnant une assurance très appréciable. Il est certes dommage que l’homogénéité entre les pupitres n’ait pas pu être davantage travaillée, avec des manques récurrents d’équilibre et de synchronisation. C’est surtout dans les chants proches de la tradition militaire que Les Voix impériales savent convaincre, tel le chant triomphal Comblé de bonheur d'Étienne Nicolas Méhul ou même le Kyrie du Requiem de Wolfgang Amadeus Mozart.
La soprano Véronique Chevallier chante sans doute pour la Cathédrale et le Dôme en même temps, tant son vibrato est large. Sa première intervention lors du Gloria de la Messe du couronnement de Giovanni Paisiello fait entendre un timbre qui trahit une voix pas encore tout à fait chauffée, un peu âpre dans les aigus et à la justesse approximative dans les médiums. Plus tard, l’auditeur peut déceler une certaine tendresse dans le timbre de la soliste, malheureusement camouflée par l’effet invasif de son vibrato. Néanmoins, le soin de la prononciation des consonnes permet de comprendre une grande partie de son texte.
Le ténor Benoît Porcherot fait quant à lui entendre un timbre clair, particulièrement adéquat et appréciable dans les chants d’armée, tel le Chant du retour de la Grande Armée en 1807 de Méhul, dans lequel il est visiblement plus à l’aise. Malgré le soin qu’il y porte, surtout dans les traits vocalisés, il lui manque encore un peu de souffle pour mener à bien la conduite de ses phrasés.
Pour diriger ce programme aux allures très patriotiques et faisant honneur à la mémoire de Napoléon, la Fondation Napoléon fait appel à l’un des siens, l’historien Peter Hicks. Sa gestuelle de chef de chœur est patente, moulinant fréquemment pour faire avancer le tout, tout en proposant des phrasés. Elle n’est toutefois pas suffisamment attentive aux instrumentistes, cachés derrière les choristes lorsqu’ils interviennent, et ses gestes souvent superflus sont trop au fond du temps -voire même en léger retard- pour que les cuivres puissent sonner avec les cordes dans cette acoustique généreuse de la Cathédrale. Le chef dirige à tous moments, même lorsque ce n’est pas nécessaire : lors d’un duo de la soprano avec la harpe ou même lorsque l’orgue joue seul, empêchant ainsi une certaine unité dans la proposition des interprètes, qui n’ont alors aucune liberté ni même de souffle commun. Néanmoins, la sympathie du chef et son plaisir communicatif ne manquent pas de conquérir le public.
De plus, malgré le manque de précision de la direction, l’Académie symphonique de Paris réussit à convaincre. Si le mélomane exigeant peut remarquer quelques contre-coups et places d’archets disparates, quelques rares maladresses et parfois quelques rythmes pointés un rien précipités, il peut se montrer satisfait que le son de l’orchestre ne se perde pas trop malgré l’acoustique généreuse. Les musiciens savent également proposer des nuances et des reliefs, notamment lors de « La représentation du chaos » extrait de La Création de Haydn -représentée devant le Premier consul quelques minutes seulement après l’attentat raté du 24 décembre 1800, ou encore le Chant funéraire de Gabriel Fauré composé pour les commémorations de 1921 aux Invalides mêmes. La spectaculaire Marche triomphale pour le centenaire de Napoléon pour orgues, trompettes, trombones et timbales de Louis Vierne marque également les esprits, interprétée depuis la tribune de la Cathédrale en compagnie de l’organiste Andrew Dewar. Enfin, le public se montre très heureux de pouvoir entendre neuf instrumentistes de la Garde Républicaine pour la récréation -la toute première depuis 1821 à Sainte-Hélène- du chant funèbre Dirge de Charles McCarthy qui accompagna l’enterrement du « Général Bonaparte » par les soldats anglais.
Heureux de ce florilège honorant la mémoire de Napoléon Bonaparte et illustrant autant la superbe de son ascension que la gloire profondément ancrée dans ces murs des Invalides, le public se lève pour saluer les musiciens et les chanteurs, très certainement « comblés de bonheur » par tant de triomphe(s).