Lundi musical de l’Athénée avec Stanislas de Barbeyrac et Alphonse Cemin
Deux cycles charpentent le programme, mettant à l’honneur deux poètes français : Banalités composé par Francis Poulenc sur des poèmes de Guillaume Apollinaire et Les Illuminations par Benjamin Britten sur des textes d’Arthur Rimbaud. Entre ces deux œuvres, le public découvre des mélodies de deux compositeurs anglais, prédécesseurs de Britten : Roger Quilter (le texte anonyme Weep you no more et Come away, Death de Shakespeare) et Ivor Gurney (Sleep, de John Fletcher) ainsi qu’une pièce pour piano seul d'un successeur esthétique de Britten, George Benjamin (Meditation on Haydn’s name).
En préambule, Stanislas de Barbeyrac s’adresse au public, confiant sa joie de pouvoir de nouveau se produire en concert ainsi qu’une certaine inquiétude sur le fait qu’il n’a pas donné de récital depuis 18 mois, et que ce genre « n’est pas un moment facile ». Plus habitué à la scène et à la projection vocale nécessaire pour chanter avec orchestre, l'interprète connaît les exigences du récital qui dévoile l’artiste dans sa plus grande intimité. Le Théâtre de l’Athénée, petite salle à l’italienne, offre un écrin idéal pour ce format de par son acoustique qui permet aux musiciens des nuances extrêmes, jusqu’au murmure, et offre également une proximité avec le public, mais exposant d’autant plus les artistes.
Dans Banalités de Poulenc, la diction impeccable du ténor permet à l'auditoire de savourer toutes les subtilités des poèmes d’Apollinaire tantôt humoristiques, tantôt graves. De nombreuses couleurs vocales sont utilisées : la voix projetée pour le caractère populaire de la Chanson d’Orkenise, les ports de voix afin de rendre la langueur d’Hôtel, la gouaille pour la valse Voyage à Paris et les nuances pianissimo dans Sanglots. Les intentions musicales sont cependant livrées avec une certaine modération, modération qui n’aura plus lieu dans Les Illuminations, le chanteur s’affirmant et s’engageant totalement.
Il déclame avec force la phrase emblématique de l’œuvre: « J'ai seul la clef de cette parade sauvage », démontrant également qu’il possède toutes les clés techniques lui permettant de surpasser les difficultés de l’œuvre, et d’en extraire les mille couleurs véhiculées par la musique et la poésie de Rimbaud.
C’est de toute sa puissance qu’il évoque le chaos des grandes villes, aussi bien dans l’aigu que dans le grave sonore et développé. Dans un grand contraste, il suspend sa voix délicatement dans Phrase, utilisant souplement le registre mixte et de tête. Comprenant parfaitement le texte, le public sourit à l’évocation de « cette cuisse, cette seconde cuisse et cette jambe de gauche » d’Antique et l'assistance est captivée par les talents de conteur du ténor. Sans faiblesse, les tourbillons vocalisés de Marine aboutissent sur la lumière éblouissante de l’aigu final et c’est dans un feu d’artifice coloré, changeant d’intention à chaque mesure, qu’il interprète Parade.
Le pianiste Alphonse Cemin (également Directeur artistique de ces lundis musicaux depuis leur résurrection en 2014) est un compagnon de longue date s’étant déjà produit en récital avec le ténor (notamment sur cette même scène en 2018). Le bonheur des deux musiciens de se retrouver en présence du public est palpable et renforce l'expressivité de chacun. Le programme comporte ainsi des parties de piano développées, révélant un musicien hors pair, un poète du piano et un grand accompagnateur. La délicatesse de son jeu dévoile toute la poésie de la Méditation on Haydn’s name de George Benjamin. Sa précision, son énergie et sa dextérité font oublier que Les Illuminations ont été créées pour voix et orchestre.
Si Stanislas de Barbeyrac avait quelques craintes au début du concert, les applaudissements chaleureux du public le rassurent et, se sentant encore en forme après cette heure musicale, il propose d’« essayer » d’interpréter l’air de Sigmund extrait de La Walkyrie de Wagner "Winterstürme wichen dem Wonnemond" (Les tempêtes hivernales ont fait place à l'heureuse lune). Essai applaudi.