Oratorios : Noël avant l'heure, mais fin de résidence pour Les Métaboles à Royaumont
Le programme s'ouvre et se referme sur un oratorio de Saint-Saëns : menant du Prélude du Déluge jusqu'à l'Oratorio de Noël. Ces deux oratorios qui encadrent ce programme sont éclairés par le reste des morceaux, notamment l'enchaînement d'un motet et de mélodies en chœur a cappella. L'Ave verum corpus installe la dimension spirituelle et la transmet aussi aux mélodies suivantes, qui à leur tour apportent leur poésie au répertoire spirituel. Le parcours se déploie ainsi et aussi du néo-baroque au grand romantique (à l'image de l'esthétique de Saint-Saëns) et, depuis le chœur des Métaboles, vers ses rencontres avec les autres ensembles (orchestre et chorale).
Les Métaboles entrent au son de l'orgue et déploient l'ampleur de leur articulation, à la mesure de la partition et de l'acoustique du Réfectoire des Moines. Les mélodies a cappella en chœur trouvent toutefois une plus grande union vocale, effaçant l'écart entre les aigus masculins tirés et les graves féminins assis. Le résultat choral est alors toujours aussi précis et souple, suivant la direction svelte et méticuleuse du chef qui articule des lèvres et des doigts, tout en nourrissant l'énergie de ses bras. Le travail d'orfèvre qui fait la marque de fabrique de cet ensemble offre une justesse absolue et l'articulation d'une seule voix en tutti avec un accord pleinement nourri.
Les voix restent très présentes mais toujours plus douces. Les montées de volumes se font cependant avec quelques effets de soufflets, notamment là où les mouvements fugués et en imitation devraient naturellement déployer ces montées. La mélodie "Les fleurs et les arbres" chante plus les fleurs que les arbres : la délicatesse de voix en pétales parfumés d'une même corolle plutôt que la charpente boisée d'un solide tronc croissant en volume.
Le chef Léo Warynski puis le compositeur Basile Chassaing présentent eux-mêmes au public la création de ce Lauréat maison de l'Académie Voix Nouvelles : BL_ND. Ils font un effort pour que le public puisse entendre au minimum les explications, tandis que sont installés juste derrière eux des mégaphones qui leur auraient été bien utiles. L'œuvre inspirée par le confinement s'inspire des travaux de linguistes ayant cherché à modifier le langage pour diminuer tous les sons propageant des particules virales, mais elle s'inspire aussi du roman L'Aveuglement de José Saramago narrant une pandémie de cécité contraignant les gens à s'isoler. Ce sont probablement ces explications qui ont servi d'excuses pour autoriser tous les interprètes (instrumentistes à cordes et choristes pourtant nombreux et rapprochés) à se passer complètement de masques. Les soucis de cette interprétation auraient sans doute de surcroît été bien plus grands (et certainement pas masqués, masqués), l'exécution restant au niveau d'un déchiffrage trop concentré sur les partitions et les diapasons, d'une première exploration de cette partition qui superpose et imbrique des effets sonores sur des cordes aiguës et des coups d'archets. Les passages froufroutés dans de micro-entonnoirs manquent d'énergie ou la cible de l'entonnoir, les quatre solistes au mégaphone semblent gênés et aussi peu audibles que l'ensemble des choristes lorsqu'ils doivent émettre un accent en frappant leur plexus (soit ils ne chantent pas l'accent soit ils ne frappent pas). Le titre de l'œuvre BL_ND invite comme au jeu du pendu à rajouter sa propre voyelle, mais si Léo Warynski dit choisir un I pour former BLIND en allusion à l'aveuglement, l'expérience de l'auditeur le mène plus à choisir un E ou un A pour former blend ou bland (mélangé, fade).
Heureusement, l'ensemble des voix (Les Métaboles et le Chœur de chambre du Conservatoire de Cergy-Pontoise) se retrouvent, comme ensuite pour l'Oratorio de Noël, sur les tenues finales. Une rencontre toutefois compliquée par l'hétérogénéité des voix solistes choisies pour refermer le concert (ce qui complique leur concorde et même leur synchronisation lorsqu'elles sont unies avec l'orgue, qui peine à suivre le rythme). Mais les chœurs en tutti prennent un plaisir contagieux à ne pas se laisser couvrir par l'orgue, en s'appuyant sur l'énergie des cordes quitte à risquer la saturation et l'écrêtement sonore.
La soprano Jeanne Crousaud propose une voix ténue en volume mais vibre amplement vers des harmoniques très fines et aiguës. Emilie Rose Bry offre son ample ligne de mezzo avec douceur, des graves vibrants mais ténus également, le médium se charpentant toutefois pour passer vers l'aigu. Mathilde Legrand a une voix douce et de caractère (mais elle est mezzo-soprano ici en charge de la partie et de la tessiture d'"alto", avec toutes les limitations que cela entraîne).
Pierre-Antoine Chaumien perché au sommet de la tribune d'orgue, très près des clefs de voûte peut s'appuyer sur un appui corsé très grave, mais une fois redescendu sur scène, il claironne pour atteindre des aigus hésitant entre la couleur de haute-contre et des appuis de ténor lyrique (s'étouffant dans l'aigu). Enfin Jean-Christophe Jacques est un baryton à la voix blanchie, mais qui tremble d'intensité et d'implication dans le caractère vocal.
L'œuvre se conclut néanmoins par un Alléluia majestueux suivant une tenue d'orgue et des arpèges de harpe évoquant effectivement la magie de Noël. Le programme accomplit ainsi son office spirituel et donne envie de voir de grandes tables dressées dans ce réfectoire pour un repas de fête. Le cadeau de Noël (en octobre) et de fin de résidence offert ce soir est le finale de l'oratorio donné en bis, par des artistes et pour un public ravis (qui prend soin d'applaudir tout le temps que tous les musiciens sortent de scène).