Franco Fagioli incarne le castrat de Napoléon Crescentini à Versailles
Il est encore temps de commémorer le bicentenaire de la mort de Napoléon Ier. Le public fidèle de Château de Versailles Spectacles peut enfin entendre le contre-ténor Franco Fagioli en réincarnation du castrat bien-aimé de l’Empereur, Crescentini, dans un concert initialement prévu en octobre 2020. Le duo Grassini/Crescentini avait certes fait l’objet d’une captation et d'un enregistrement en avril dernier (notre compte-rendu), les retrouvailles des artistes, notamment les musiciens de l’Orchestre de l’Opéra Royal, avec le public n'en sont pas moins forts. Lors du concert, un spectateur s’écrit même « Vous nous aviez manqués ! Merci ! », auquel répond un musicien « Nous aussi ! ». Le public n’en sera pas déçu, avec ces extraits de Giulietta e Romeo de Niccolò Antonio Zingarelli et d’opéras de Gioachino Rossini.
Lorsque Franco Fagioli arrive sur scène et commence à chanter "Qual sarà il mio contento… Ciel pietoso" de Giulietta e Romeo, sa présence captive immédiatement, sa voix remplissant l’Opéra Royal avec une facilité insolente. Son texte est limpide, partagé à son public sans l’obstacle de partitions. Son vibrato constant soutient avec stabilité la voix et ajoute avec équilibre en expressivité. Son phrasé est également très stable quels que soient la longueur ou le registre. D’ailleurs, l’aisance des passages entre les registres, qui couvrent une tessiture impressionnante de trois octaves, est déconcertante. Ses vocalises, accompagnées d’une active expression faciale qui va jusqu’au regard malicieux, passent de l’aigu au grave avec une grande facilité apparente tout en restant très ciselées. Ce sont parfois même les musiciens de l’orchestre, malgré leur propre agilité, qui sont légèrement derrière les traits virtuoses du chanteur. Franco Fagioli captive de nouveau l’auditeur avec "Ecco il luogo, ecco l’urna" d'un timbre aux médiums de velours, de graves suaves et d'aigus solaires éblouissants. Quel que soit le registre, le chanteur peut certainement rivaliser d'agilité avec les plus grandes mezzo-sopranos ou sopranos expertes en cette période du premier bel canto. Pour terminer la première partie, l’air de Roméo "Idolo del mio core… Ombra adorata aspetta" laisse bien imaginer comment le castrat Crescentini avait le pouvoir de faire pleurer celui qui deviendra Empereur des français.
En seconde partie, Fagioli fait entendre quelques airs que Rossini a composés non pas pour les castrats, qui étaient alors sur la fin de leur règne, mais pour des chanteuses contraltos travesties en homme. Cela n’empêche en rien de retrouver toute la virtuosité avec laquelle fascinèrent les castrats. Le contre-ténor démontre ainsi son aisance naturelle en reprises et en bravoure, jusqu'à l'aigu éclatant qui lui vaut des applaudissements nourris.
Pour accompagner le chanteur, les musiciens de l’Orchestre de l’Opéra Royal sont sous la direction très engagée, à la gestuelle ample -à en jeter sa baguette au-dessus de l’orchestre- du violoniste Stefan Plewniak. Ils se montrent assez attentifs et équilibrés lors des airs et à l’aise dans les parties les plus brillantes, malgré quelques maladresses de certains violonistes pour l’oreille attentive et exigeante. Les parties les plus tendres trahissent sans doute un travail ayant manqué un peu de temps, avec des timbres pas toujours très beaux et une justesse parfois approximative. Les cuivres naturels n’aident certainement pas, éveillant parfois les instincts des chasseurs amateurs, malgré le contrôle de ces instruments difficiles. L’orchestre semble comme libéré lorsqu’il est mené, et non plus dirigé, par Stefan Plewniak qui prend le violon pour proposer en interlude instrumental la Polonaise finale du Concerto pour violon n°1 de Pierre Rode, soliste de la musique particulière du Premier consul -et amant de la quasi-officielle maîtresse de celui-ci, la soprano Giuseppina Grassini. Stefan Plewniak ne recherche pas forcément la beauté du son ou même la perfection de la justesse. Il propose une interprétation de caractère, avec relief et sensibilité et surtout présence, audace et virtuosité. En un mot, du panache.
Heureux et reconnaissants des applaudissements chaleureux du public, c’est une véritable troisième partie de concert que les complices Franco Fagioli et Stefan Plewniak lui offrent en bis, avec d’abord l’air de Ramiro "Se l'augellin sen fugge" de La Finta giardiniera de Mozart et "O sospirato lido" avec violon solo du Tancredi de Rossini. Deux airs dans lesquels l’infatigable contre-ténor démontre de nouveau avec nuances sa virtuosité tout en se montrant aussi joueur, ce qui lui vaut une standing ovation du public émerveillé et admiratif.