Le Comte Ory, feu d’artifice à l'Opéra de Metz
L’Orchestre national de Metz est disposé dans la fosse mais aussi devant la scène (distanciations Covid obligent), un dispositif qui couvre parfois (mais peu souvent) les chanteurs. Toutefois, les musiciens menés par la fermeté et la souplesse de Corinna Niemeyer, déploient la variété de cette partition ébouriffante de virtuosité, gérant finement les crescendi rossiniens (en tempi et dynamiques).
La mise en scène de Sylvie Laligne joue avec une fine ironie le jeu des invraisemblances du livret, montrant les troubles suscités par l’irruption du "mâle alpha" dans un milieu féminin confiné et frustré (tandis que les hommes sont à la croisade), jouant également avec la fragilité de ces personnages. Elle sait associer le chœur, comme un spectateur-acteur amusé et ironique (les gestes d’ensemble chorégraphiés sont désopilants). Cette mise en scène alerte et efficace, soutient aussi les moments sensuels, sans renier et même en assumant des clichés : l’orage tonitruant, les toiles peintes à l’ancienne, des "gags" avec de très drôles chevaux de bois ou les chapeaux des suivantes de la Comtesse... distributeurs de mouchoirs. L'ensemble est secondé par les délicats costumes de Giovanna Fiorentini (raffinés et souvent amusants) ainsi que les décors esthétiques d’Emmanuelle Favre, éclairés avec finesse par Patrick Méeüs (malgré certaines poursuites, parfois hasardeuses).

Le chœur préparé par Nathalie Marmeuse prend visiblement beaucoup de plaisir à cette production, tant séparément (hommes ou femmes) que dans les chœurs pléniers, ou les ensembles (en soutien luxueux des solistes). Trois de ses membres assument de petits instants solistes (Aurore Weiss propose en Alice un mezzo-soprano fin et discret).
Les solistes pleinement intégrés dans la production comme par un esprit de troupe participent avec implication aux ensembles, essentiels et nombreux, avant de s'élancer dans leurs quelques airs isolés respectifs. Le rôle du Gouverneur, ambigu et râleur, est assumé avec finesse par Leonardo Galeazzi. Sa voix de baryton-basse, très claire et étendue, à la prononciation très soignée, donne à entendre magistralement les graves surprenant de l’aria "Veiller sans cesse". L'interprète est particulièrement à l’aise dans les emplois comiques.

Cécile Galois prête sa voix de mezzo à Ragonde, personnage héritier lointain des nourrices de l’opéra vénitien, lubriques et veillant au grain. La voix est très sonore, un peu métallique, surtout dans le medium, ample et étendue, parfois un peu raidie, mais très joliment intégrée dans les ensembles, et n’hésitant pas à accentuer les effets vocaux (l'articulation entre voix de poitrine et voix de tête) à des fins théâtrales.
Armando Noguera, incarne Raimbaud avec aplomb et vaillance, d'une solide voix de baryton. Il parvient à plier à la souplesse rossinienne sa ligne sonore, percutante et très projetée, avec une prononciation parfois légèrement teintée d’un charmant accent argentin, en particulier dans l’air « Dans ce lieu solitaire ».

Isolier est donc un rôle "travesti", que Catherine Trottmann assume avec aplomb. Si le jeu est convaincant, sa voix très travaillée dans l'esthétisme du timbre mais de "catégorie soubrette" est en revanche moins apte à suivre les élans vocaux du jeune homme qu’elle campe entièrement sur le plan scénique. L'aigu est lumineux, mais la voix reste un peu petite, et manque de souplesse dans l’exécution des coloratures (d'autant qu'elle est un peu dépassée dans les ensembles, souvent couverte par la Comtesse Adèle).

Perrine Madœuf incarne la Comtesse Adèle tant sur le plan scénique que vocal. La voix très étendue est très virtuose, ne cherchant pas cependant à mettre ces qualités en avant, mais les mettant au service de la partition et du théâtre. La prononciation est parfois hasardeuse, mais elle fait de son mieux dans cette écriture et avec ces grands écarts de hauteurs. L'aisance pyrotechnique dans les traits de virtuosité atteint des suraigus flamboyants et descend dans les abysses d’une voix de poitrine maitrisée, avec, partout, une présence sonore constante (qui semble même, parfois, un peu excessive dans les ensembles).

Patrick Kabongo joue pleinement et à la fois la veulerie et la fragilité du rôle-titre. Il assume le jeu d'acteur avec les gestes chorégraphiés de cette mise en scène. Ses physionomies changeantes sont très drôles. Sa voix de ténor di grazia est aisée et très étendue, les aigus et suraigus en voix mixte appuyée irradient les ensembles (duos, trios, scène avec tutti et finales), dans lesquels il est très attentif à ses partenaires. Le timbre, séduisant complète l'incarnation du jeune homme Ory, avec aisance, maitrise et naturel dans les traits de virtuosité. La voix se fait velours dans les moments intimistes, avec de plus une prononciation rendant inutile ici le recours aux surtitres.

Le public conquis par l’ensemble de la production distingue justement le spectacle et ces deux derniers artistes.