Rigoletto par Michieletto à Venise
Le bouffon est ici interné, littéralement fou de chagrin à cause de la mort de sa fille, sa seule joie terrestre. Certes, le propos semble ainsi modernisé et présenté en flash-back (comme souvent dans les mises en scène contemporaines de cet opéra), mais ce propos est connecté au plateau : les spectateurs sont ainsi placés devant l'enfermement clinique d'un pauvre père qui s'efforçait "seulement" de protéger sa fille, renvoyant une terrible image de la société, de la responsabilité et de l'irresponsabilité, individuelle et collective.
Ce scénario et sa scénographie s'incorporent dans le cadre baroque d'un des plus beaux théâtres du monde. Le scénographe et collaborateur de confiance Paolo Fantin enferme la scène mais aussi la salle dans une pièce avec fenêtres à barreaux. Les projections laissant halluciner des couloirs, escaliers, ou autres voies (sans issues) représentent aussi l'écran mental des souvenirs, tableau noir où les années de bonheur avec sa fille sont revécues comme si le public les observait et les vivait lui-même (à la profonde mesure avec laquelle le spectateur est non seulement enfermé avec Rigoletto dans sa cellule mais même dans sa tête).
Les lumières confiées à Alessandro Carletti, composent des touches émotionnelles sur fond blanc : vert, bleu clair, peintures mais un seul moment chaud (ambré même) : la première apparition de Gilda. L'entrée du Duc fait replonger le drame dans la cellule, ses grandes ombres assombrissant les costumes volontairement neutres d'Agostino Cavalca (en lien avec des mouvements francs voire naturels, une légère bosse seulement pour Rigoletto qui cache même la robe de Gilda dans son lit, comme pour la cacher du monde).
La direction musicale de l'Orchestre maison est confiée à Daniele Callegari dont la lecture musicale correspond pleinement à la mise en scène : la folle intensité y est concentrée, enserrée, puis éclate en passant de la fanfaronnade au drame. L'Orchestre est toujours déterminé et plein de vitalité.
Le baryton Luca Salsi confirme les choix du chef d'orchestre, donnant un sens théâtral à chaque note. Il passe avec précision et une grande agilité des couleurs intimes aux couleurs tragiques, toujours d'une ligne soignée.
Le Duc de Mantoue est incarné par le jeune ténor Péruvien Ivan Ayon Rivas, fanfaron au timbre clair, mais gardant ses moyens sur les notes longues et sonnantes. L'émission agile assure la légèreté dans ce terrible univers.
Gilda est interprétée par la soprano Claudia Pavone, avec l'émission très pure d'un personnage innocent et aimable au premier regard. Ses vocalises précises viennent prolonger le registre, dans une douceur qui révèle ses émotions. Le fameux air "Caro Nome" déploie son agilité avec des ornements tous présents, audibles, agiles, efficaces.
Le timbre sombre de la basse Mattia Denti renforce encore son intense et terrible incarnation de Sparafucile. Giovanna est l'irrépressible mezzo-soprano Carlotta Vichi. Son registre impressionne, d'une fascinante couleur pleine et ronde, précise notamment dans les ensembles complexes (de quoi séduire le Duc et le public avec).
Le Comte Monterone échoit à Gianfranco Montresor, au timbre sombre et doux, enveloppant ses mots avec précision (mais les malédictions sont moins puissantes dans un hôpital psychiatrique). Marullo, joué par Armando Gabba, d'une grande présence scénique, est habile et autoritaire dans le chant.
Le Chœur préparé par Claudio Marino Moretti conserve son timbre et sa musicalité sachant également soutenir les complexités de la partition et de cette mise en scène.