L’Enfant et les Sortilèges enchantent la Philharmonie de Paris
L'Ouverture philharmonique co-commandée au compositeur Eric Montalbetti par l’Orchestre Philharmonique de Radio France et le Gürzenich Orchester Köln, dont François-Xavier Roth est le Kapellmeister, est donnée en prélude au Prélude à l'Après-midi d'un faune de Debussy et à L’Enfant et les Sortilèges de Ravel. Ce mini-concerto pour orchestre démontre une maîtrise aussi dense qu’efficace du contrepoint et du sérialisme, notamment par l’extrême division des pupitres des cordes. Malgré sa densité, la texture orchestrale semble rester légère et jamais écrasante, offrant aux différents groupes d’instruments des moments de lumière. La petite harmonie est particulièrement mise en valeur, accompagnée de la harpe et du vibraphone, d’où surgissent avec douceur les cuivres avant de replonger tout aussi subtilement dans cette sorte de brume sonore, souple mais néanmoins quasi-transparente. L’œuvre est suivie par le Prélude à l'Après-midi d'un faune, toujours avec couleurs et richesse, mais aussi une force mélodique beaucoup plus prononcée. La flûtiste Magali Mosnier déploie un son tendre, dès la longue et si fameuse phrase qui ouvre l’œuvre. Cette force mélodique n'est toutefois pas mise en évidence par la suite, pour privilégier l’homogénéité de l’orchestre.
C’est également cette recherche consciente de la beauté mélodique qui fait défaut lors de la seconde partie : sous la direction régulière de Mikko Franck à la maîtrise apparemment facile et sans rien de superflu, le son de l’orchestre répond par un déploiement sonore, magnifié certes, mais oubliant qu'il doit être parfois -et même souvent- le juste accompagnateur des chanteurs. S'ils sont parfois couverts sans aucune pitié, le plateau de solistes sait aussi se défendre et offre une interprétation nuancée de la touchante fantaisie lyrique de Ravel.
Adèle Charvet était originellement annoncée dans le rôle de l’Enfant, mais, souffrante, elle est remplacée par la soprano Chloé Briot. Ayant déjà interprété ce rôle avec l’Orchestre Philharmonique lors de l’enregistrement de l’œuvre en 2017, elle s’y montre naturellement très à l’aise, dans son pyjama rayé. Sa diction est toujours très claire, jouant le mauvais garçon tout comme l’enfant apeuré en usant de ses capacités à modifier son timbre de voix, d’un parler sifflant à de frais aigus.
Dans sa robe de Princesse rose à la gorge étincelante, la soprano Jodie Devos incarne le Feu (aussi séduisant que menaçant), la belle Princesse et l’agile Rossignol. Ses vocalises sont épanouies et ses aigus joliment perlés. En Princesse surtout, ses phrasés se font fort touchants, sans jamais exagérer la souplesse de leur conduite, gardant toujours une diction très claire.
De sa douce et ferme voix de contralto, Elodie Méchain est une Maman attentionnée, une Tasse (chinoise) de caractère et une Libellule touchante. Son acolyte la Théière (anglaise), qui incarne également l’Arithmétique et la Rainette, est le ténor Antoine Normand, comédien aussi hilarant qu’il est un sérieux chanteur. Ses interprétations sont pleines de contrastes pertinents, se montrant très à l’aise pour varier les timbres de sa voix, qu’elle soit de poitrine, de tête ou très nasale.
La mezzo-soprano Anaïk Morel interprète la Bergère (le meuble), la Chatte, l’Ecureuil et un Pâtre avec un timbre agréablement velouté aidé d’un vibrato bien dosé. Son collègue le baryton Régis Mengus lui répond en Chat, également en Horloge comtoise, malheureusement trop couvert par l’orchestre pour pouvoir déployer de la chaleur de son timbre, qui toutefois manque aussi de contrastes.
Le chanteur baryton-très-basse Paul Gay impressionne quant à lui par sa présence vocale aisée, incarnant un Fauteuil impérieux et un Arbre plein de profondeur malgré sa blessure. Enfin, la soprano Clara Guillon n’a pas suffisamment d’interventions longues pour briller mais elle fait cependant entendre une Pastourelle à la voix fine et lumineuse en Chauve-souris comme en Chouette.
Les enfants de la Maîtrise de Radio France se montrent précis, grâce notamment à la préparation de Sofi Jeannin, tout comme le Chœur de Radio France, préparé par Martina Batič, malgré les distanciations imposées. Les douces pages finales, qui lui réservent un rôle prépondérant en bêtes avec notamment des parties a cappella, font leur effet charmant et bien placé. L'éloignement des choristes (disposés derrière l’orchestre) ne leur fait pas perdre en précision ni homogénéité. Leur équilibre et leur caractère apaisé explique que l'enfant leur adresse tendrement un final : « Maman ! ».