Mozart et Mahler, Les Siècles de dentelle à la Philharmonie
Si, contrairement à leurs œuvres, il est difficile de faire parler les compositeurs du passé, les programmateurs de ce concert ont toutefois de quoi se dire que Gustav Mahler aurait sans doute été ravi que sa Symphonie n°4 soit introduite par des compositions de Mozart, qu’il appréciait tant. Mahler, compositeur et chef d’orchestre, a souvent dirigé les œuvres du maître classique et il se dit même que « Mozart » aurait été le dernier mot qu’il prononça avant de mourir. De plus, cette symphonie occupe une place particulière dans la production mahlérienne, en étant la plus classique et en révélant une certaine clarté et légèreté de ton. Le philosophe-musicologue Theodor Adorno y voit « un hommage à l’auteur de La Flûte enchantée » et ajoute également au sujet de la richesse de son instrumentation : « On dirait que la Symphonie des jouets s’élargit aux dimensions d’un vaste royaume imaginaire » (même si cette Symphonie n’est désormais plus attribuée à Mozart).
L’interprétation précise et claire qu’en propose François-Xavier Roth met en évidence les liens entre ces deux compositeurs. Quels que soient les instruments utilisés (Les Siècles jouent chaque répertoire sur les instruments historiques correspondants), les instrumentistes répondent à son souci du détail, à son désir de phrasés délicats ainsi qu’aux indications de nuances extrêmes dans le piano, faisant comme oublier l’effectif orchestral important. Dans Ruhevoll (tranquille) Poco adagio de l’œuvre de Mahler il obtient un son pianissimo qui, sans volonté de développement, crée une atmosphère planante de temps arrêté, illustrant la volonté du compositeur de peindre « le bleu uniforme du ciel ».
Le chef conserve dans la Symphonie n°4 de Mahler les dynamiques contrastées et l’articulation précise proposées précédemment dans la Symphonie n°36 dite "Linz" de Mozart, créant une dentelle musicale favorisée par le niveau d’expertise des instrumentistes. Indiquant davantage ses intentions musicales qu’une battue rigoureuse, la production sonore est continuellement habitée dans un ensemble cohérent, en étant néanmoins quelque peu contenue, les moments intenses et les envolées lyriques restant modérés.
Les deux maîtres Mozart et Mahler ont également en commun leur rapport à la voix comme support créatif incontournable et intime. Ce rapport est mis en mots ce soir par des airs en guise de déclarations d’amour à l’intention d’Aloysia Weber dont Mozart appréciait grandement la voix : « Je passe vite sur son chant… en un mot : parfait ! » Sabine Devieilhe, en se glissant dans les traces d’Aloysia Weber, récolte elle aussi les compliments d’un auditoire ébloui. La soprano défie toutes les difficultés techniques dans un calme inébranlable. Les vocalises, les suraigus et les immenses intervalles de l’air extrait de Mitridate ("Al destin, che la minaccia") sont toujours reliés à une idée musicale. Son timbre concentré rejoint celui du hautbois dans "Vorrei spiegarvi, oh Dio" et elle partage avec François-Xavier Roth un goût pour les pianissimi extrêmes, la reprise de cet air étant délivrée sur un fil de voix. Dans une grande souplesse, elle délivre les phrases mozartiennes, atteignant l’aigu toujours délicatement. Mais sa voix possède aussi les qualités requises par Mahler qui voulait, pour le finale de sa 4ème Symphonie, un soprano ayant « une expression joyeuse et enfantine, tout à fait dépourvue de parodie. ». Pour cela elle atténue son vibrato et délivre très simplement les quatre couplets du Lied Das himmlische Leben (La vie céleste) extrait du recueil Le Cor merveilleux de l’enfant. Soucieux de l’équilibre général, François-Xavier Roth contient son ensemble afin que la voix fine de la soprano (placée à l’arrière) passe l’orchestre.
Le programme de la salle notifie qu’« en 1904, au Concertgebouw d’Amsterdam, Willem Mengelberg programma l'œuvre deux fois au cours de la même soirée, pour que le public parvienne à en assimiler la nouveauté. » Ce soir, le public est conquis dès la première écoute et ovationne triomphalement les artistes.