Célestes Cantates de jeunesse de Bach par Les Arts Florissants
Jean-Sébastien Bach n’avait que 22 ans lorsqu’il obtint son poste en l’Eglise Saint-Blaise de Mühlhausen. Comme le relate le chanteur et chef Paul Agnew, le jeune compositeur est encore loin de l’image autoritaire représentée sur la fameuse peinture d'Elias Gottlob Haussmann : en 1707, Bach est encore un jeune musicien plein d’ambition et d’intuition musicale qui veut convaincre. La concurrence était certes rude mais Bach ose là où les autres n’osent pas, au risque d’être reconnu par les générations suivantes mais non par la sienne. C’est le génie de ce jeune Bach que veut présenter ce soir Paul Agnew et l’ensemble Les Arts Florissants, en faisant entendre, dans l’abbatiale d’Ambronay, trois de ses cantates composées au début même de sa grande carrière.
Paul Agnew attend le silence complet puis donne le départ pour la Cantate Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit (Le temps de Dieu est le meilleur des temps). Dès les premiers coups d’archet du violiste Julien Leonard, la musique va droit au cœur. L’innocence plaintive et en même temps pleine de consolation et d’espérance des mélodies chantées par les flûtes à bec apporte une lumière également fort touchante. Les suspiratio des violons, leurs plaintes larmoyantes, lors de la Sinfonia de la Cantate Nach dir, Herr, verlanget mich (Vers toi, Seigneur, j'aspire) font le même effet. Les huit artistes du chœur font honneur à ces introductions, faisant entendre un texte d’une limpidité sublimée par une grande précision d’ensemble. Les pupitres en binômes sont homogènes et le tout est équilibré. Si ces qualités trahissent évidemment un travail de préparation extrêmement précis, la direction de Paul Agnew ne s’en montre pas moins très équilibrée : précise et souple, active et confiante. Il en ressort une juste interprétation pour défendre l’œuvre de Bach, lui-même défendant l’idéal de Luther à savoir de donner vie au texte par la musique. Choristes et instrumentistes font preuve des mêmes qualités, en solistes ou en accompagnement, ils ne perdent jamais leur conscience et sensibilité. Les traits ornementaux sont transparents, précis et toujours justifiés dans le phrasé. L’inventivité polyphonique du compositeur est déployée avec agilité tout en préservant l'essentiel : le choral qui porte le texte et le message profond qu’il faut partager et faire vivre auprès de l’assemblée.
Quelques interventions solistes apportent une touche d’émotion supplémentaire. La soprano Miriam Allan projette sa voix lumineuse avec une aisance déconcertante. Elle se montre touchante, notamment par son interprétation souriante de "Ja, komm, Herr Jesu, komm!" (Oui, viens, Seigneur Jésus, viens !). Sa diction reste au service du texte qui prend ainsi tout son sens. Avec le chanteur alto Maarten Engeltjes, leur duo fait preuve d’un seul et même soutien des phrasés, leurs chants se rejoignant totalement sur la même note commune, le tout magnifié par une maîtrise du souffle et des dynamiques. Seul pour son air "In deine Hände befehl ich meinen Geist", le contre-ténor néerlandais charme par son timbre solaire, ses phrasés sensibles qui usent de différentes couleurs et nuances sans perdre en présence. Le ténor Thomas Hobbs ne manque pas non plus de présence. Particulièrement avec son air "Ach, Herr, lehre uns bedenken" de la même cantate, il démontre une interprétation affirmée d’une voix claire au service du texte et des phrasés. Enfin, la basse Edward Grint chante d’une voix superbement timbrée même dans un registre plus haut, allant jusqu'à utiliser sa voix de tête faisant ainsi entendre des aigus vaillants et lumineux. Son vibrato se fait parfois un rien trop ample mais sans toutefois perdre de sa sensibilité musicale.
Le programme accueille même en son sein la cantate Christ lag in Todesbanden (Le Christ gisait dans les liens de la mort) de Johann Kuhnau (1660-1722), qui tenait le poste fameux que prendra plus tard Bach : Cantor de Leipzig. Les Arts Florissants la défendent avec toute la beauté que cette œuvre mérite, particulièrement l’accompagnement instrumental avec ses duos de violons et de flûtes. Les passages homophoniques du chœur, comme les quelques réponses et imitations en montrent la sensibilité musicale mais souffrent dans cet enchaînement de toute comparaison avec Bach, une fois encore élevé aux sommets, par les interprètes et le public.