Monumentale Messe en si de Bach par Spirito au Festival d’Ambronay
Après l’avoir présentée en ouverture du Festival de La Chaise-Dieu, Nicole Corti et son Ensemble Spirito (chœur mais aussi orchestre) rendent visite aux festivaliers d’Ambronay, en ce deuxième week-end de cette 42ème édition, avec la Messe en si mineur BWV 232 de Jean-Sébastien Bach. Cette œuvre monumentale est assez unique dans la musique du compositeur, travaillée pendant plusieurs années jusque même ses derniers instants. Œuvre catholique composée par un fervent protestant, cette commande fut sans doute un défi pour Bach, qui offre une messe extrêmement profonde, exigeant en retour une rigueur d’interprétation tout aussi travaillée et profonde. L’ayant abordée en collaboration avec le musicologue Gilles Cantagrel, connaisseur du Cantor de Leipzig, Nicole Corti promet une interprétation plus proche de l’œuvre originale, telle que Bach l’aurait connue s’il avait eu l’occasion de la faire jouer dans son intégralité de son vivant. La cheffe promet de « mettre la musique au service du texte », de « gagner en contraste et en expressivité, en intelligibilité et en signification spirituelle. » Une intention ambitieuse qui ne peut que réjouir tout mélomane.
Nicole Corti est une cheffe de chœur, cela est patent dans sa façon de diriger par des gestes très souples, très tendres pour insuffler les phrasés et dessiner avec finesse les lignes vocales. Néanmoins, ces gestes sont trop peu nets pour les instrumentistes qui accompagnent le chœur. Ils paraissent aussi et surtout trop retenus, gardant trop précieusement une musique qui lui parle assurément mais qu’elle ne transmet pas véritablement. Ainsi, les quinze artistes du chœur Spirito peinent-ils à produire un son avec l'effet de puissance spirituelle attendue. Néanmoins, cet effectif réduit permet d’entendre un joli son d’ensemble, homogène et dont les efforts de nuances sont palpables. Le chœur fait preuve de beaux passages fugués, notamment lors du Kyrie eleison, avec un contrepoint limpide et sage, dans l'équilibre des parties. Certaines couleurs sont touchantes, par exemple dans le Qui tollis peccata mundi, sans toutefois y être plaintives. Sans doute insuffisamment soutenu par l’accompagnement orchestral en seconde partie, le Sanctus déstabilise l’auditeur qui, même sans connaître par cœur la partition, peut ressentir un décalage entre la profondeur que Bach a voulu transmettre par sa musique et l’interprétation proposée aujourd’hui, qui se veut brillante voire impressionnante. Par manque de caractère musical, mais pas de talents avec d’ailleurs des interventions solistes remarquées, l'ensemble peine à soutenir convenablement le chœur et les chanteurs solistes, manquant soit de vitalité, soit de couleurs. Bach n’était peut-être pas catholique, mais la crucifixion restait pour lui un moment d’une importance fondamentale pour sa foi, profondément endolorie par ce sacrifice divin.
La seconde partie sonne plus lourde encore, l’accord des cordes encore moins précis et certains passages du Et incarnatus est franchement disgracieux. Si l’orchestre faisait preuve d’un caractère plus affirmé, les timbres rugueux mais plein d’éclats des trompettes naturelles, malgré les canards inhérents à ces instruments d’époques, n’auraient pas parus si écrasants.
Les solistes frappent par leur hétérogénéité, tous ne jouant pas dans la même cour. Les prestations du ténor Vincent Lièvre-Picard, malgré l’effort porté à la prononciation, proposent un timbre de voix sans richesse ni homogénéité, ses lignes vocales manquent de soutien et sont parfois mal conduites, inconstantes avec par exemple des envolées puis des descentes accentuant les défauts de justesse qui peuvent parfois porter atteinte aux ensembles. La soprano Hélène Walter fait entendre une voix légère, un timbre lumineux, quoique parfois légèrement acide, et à la projection claire et au vibrato tendre. Ses phrasés se font sensibles, bien qu’un rien surjoués physiquement. Sa collègue Clarisse Dalles se montre également sensible et même tendre dans ses lignes vocales, notamment grâce à sa voix ronde et chaude, aux aigus légers et agréables. La basse Florian Hille est sans doute d’abord gênée par le cor naturel, au maniement extrêmement difficile, mais qui assurément n’aide pas le chanteur lors du Quoniam tu solus sanctus. Il se montre bien plus à l’aise lors de son autre intervention, Et in Spiritum Sanctum, lors duquel il fait entendre un timbre profond, un souffle admirablement maîtrisé ainsi qu’une présence scénique appréciable, s’adressant au public sans en faire trop. Certaines lignes ascendantes sonnent légèrement coincées mais restent anecdotiques.
Et puis arrive Lucile Richardot qui, enchantant la partie d’alto, fait le liant nécessaire à l’homogénéité fragile lorsque les solistes chantent ensemble. Elle captive l’auditeur lors de son Qui sedes ad dextram Patris et plus encore lors de son Agnus Dei. Si son départ trahit subtilement qu’elle ne sait que faire face à la proposition musicale des violons en introduction, elle réussit en une seule seconde à reprendre le contrôle, proposant alors une couleur et des phrasés pertinents et convaincants. La clarté de son texte, son timbre séduisant dans tous ses registres, sa projection naturelle, sa maîtrise vocale en somme lui permet de transmettre véritablement sa vision du texte qui prend alors, à ces deux moments de solo seulement, tout son sens, dans toute sa profondeur et toute son expressivité.
Le public se montre évidemment heureux et reconnaissant d’entendre cette œuvre magnifique dans une version qui reste impressionnante et peut ainsi séduire une oreille avide de belle musique. Pour satisfaire la demande des spectateurs et faire durer un peu plus l’aventure que les musiciens ont partagé cet été, Nicole Corti offre en bis le Dona nobis pacem final et en ter l’enthousiasmant et puissant Hosanna in excelsis.