Trois directions pour une rentrée bien remplie à Radio France
Sofi Jeannin dirige naturellement ses chanteuses de la Maîtrise de Radio France mais doit aussi mener les instrumentistes du Philharmonique de Radio France. Sa technique la mène naturellement à diriger avant tout les voix, situées dans les gradins en fond de salle, mais ce penchant est aussi accentué par la spécificité de l'œuvre choisie et par les difficultés que rencontrent les instrumentistes devant elle. Ces Scènes de village par Béla Bartók alternent en effet deux univers très différents voire opposés (comme si deux œuvres différentes étaient découpées en morceaux joués l'un puis l'autre) : les sections instrumentales effrénées reposant sur l'importance de contre-temps accentués (hélas décalés ici alors qu'ils font tout le sel du morceau) mènent la cheffe à se concentrer sur les amples sections vocales où l'accompagnement se réduit à des notes tenues mais dès lors bien plus riches : la musique d'une aube mordorée. La cheffe, quoique tenant une baguette, dirige avant tout en articulant avec ses chanteuses, des mains et des lèvres. Elles sont donc en place, avec tenue sur les tenues quoique ténues mais ces voix jeunes en âge et en technique ont ce timbre blanchi qui fait leur candeur sans effacer les hauteurs. L'œuvre de Bartók ayant eu le génie de transposer au concert les thèmes populaires collectés à travers son pays et pour son éducation musicale (d'où la place centrale des jeunes voix féminines), la partition déploie aussi dans cet écrin de beauté une petite mélodie soliste touchant droit au cœur. Le public en applaudira la pureté de l'écriture tout en réconfortant la jeune soliste envahie par l'émotion et le stress, bien naturel en cette période de rentrée artistique.
Le deuxième chef, Marc Desmons, est l'alto solo de cet orchestre. Lui qui dirige donc ce soir ses collègues (dans la création mondiale 6db, concerto pour six contrebasses d’Oscar Bianchi) n'est donc ce soir plus soumis comme eux au code vestimentaire. Il vient dans une tenue mystique, chaussures et pantalon blancs sous une longue tunique bleu clair aux rouges motifs d'Orient. Il déploie en cohérence, avec ses longs bras, de grands gestes de yoga musical et plonge dans un état de méditation pour laisser s'exprimer les musiciens (les six contrebasses placées à l'avant-scène, chatouillant leurs instruments sur la touche au son d'un bâton de pluie). La méditation se rompt en sursaut pour l'auditoire sous la direction soudain énergique mais tout aussi lisible du chef, à travers orages d'archets et tempêtes de souffles. Marc Desmons se retourne même vers le public et désigne de sa main ouverte un contrebassiste après l'autre comme pour lui passer le bâton de parole. Des mains ouvertes qui s'écartent, s'élèvent au ciel puis redescendent comme pour convoquer et apaiser l'énergie terrestre. Des mains qui câlinent aux saluts le compositeur très applaudi.
Toute autre ambiance visuellement pour le troisième chef, Fabien Gabel, en queue de pie et nœud papillon blanc. Mais la musique prouve une fois encore combien l'habit ne fait pas le moine. La prestation dans la Symphonie n°1 dite "Titan" de Mahler s'offre même comme une synthèse des deux autres pièces et directions : combinant quelques désynchronisations rythmiques avec les lignes chantantes d'une direction ample et souple qui ménage d'impressionnants élans et souffles vers les masses orchestrales (mais ponctuées de chants populaires). La danse élancée jusqu'au grand plongeon convoque l'énergie des contrebasses, passées au nombre de 8, rentrées dans le rang de l'orchestre mais conservant leur investissement, comme les percussions qui se déploient avec les cuivres jusqu'à l'assourdissement. Titanesque en effet.