Mäkelä & Davidsen : lumière(s) sur Chin, Strauss et Mahler à la Philharmonie
La soirée commence avec la création française du concerto pour orchestre Spira (2019) d'Unsuk Chin. L’œuvre, d’une vingtaine de minutes, est directement inspirée de la « spira mirabilis », structure qui se retrouve sous diverses formes dans la nature, notamment dans la disposition torsadée de certains coquillages. L’origine de la structure est annoncée par les pleurs lointains des vibraphones et se déploie ensuite dans tout l’orchestre, arrachant aux instruments un mélange de textures et de sons iridescents, dans un mouvement tortueux de plus en plus énergique et entraînant, avant de revenir à la forme première avec les dernières lueurs, affaiblies, de l’archet sur les vibraphones. L’ensemble, saisissant, est d’autant plus applaudi que la compositrice, présente dans la salle, vient saluer à l’initiative du chef Klaus Mäkelä.
Cette création, mettant en avant ce que la compositrice appelle le « genre caméléonesque » d’un orchestre (sa capacité à évoluer d’un son, d’une texture et d’une ambiance particulières à un autre son, d’une texture et d’une ambiance radicalement différentes) offre au public un angle d’écoute inédit pour la suite du concert.
C’est en effet avec des oreilles et une perception enrichies par ce travail luminescent du son que le public accueille les Quatre Lieder de Strauss et la voix, chaude et ronde, de la soprano Lise Davidsen. Le premier morceau, Ruhe, meine Seele! (Calme-toi, mon âme) la trouve en grande forme : le médium, charnu et sombre, s’ouvre peu à peu sans jamais forcer ou briser la ligne de chant. L’émission est cinglante et d’une brillante noirceur que le registre aigu conserve dans toute son étendue. Cäcilie, deuxième chant, est sans doute le morceau où les qualités de la chanteuse-diseuse sont les plus perceptibles : nuances soignées, timbre envoûtant, aigus envahissants et cristallins, toute la voix devient un orchestre sur l’orchestre, se déployant avec la fougue d’un navire sur l’onde straussienne. Après Heimliche Aufforderung (Invitation secrète) et le célèbre Morgen! (Demain) sur un poème de Mackay, le public réserve une véritable ovation à la cantatrice norvégienne qui revient saluer à quatre reprises, visiblement émue de cet accueil.
Le concert s’achève avec la Symphonie n°1 dite « Titan » de Mahler. Œuvre ample, au premier mouvement profondément romantique, mêlant au chant des oiseaux les fanfares et autres morceaux populaires qui viennent, peu à peu, parasiter une nature morne et insensible jusqu’au point culminant du dernier mouvement, angoissé et sardonique, luttant entre l’obscurité inquiétante de la mélancolie et l’arrivée, jeune et solaire, des dernières mesures victorieuses.
La direction de Klaus Mäkelä, précise et emportée, refuse une lecture apprêtée de l’œuvre, l’évidant de toute tentation romantique. Cependant, cet assèchement ne refuse en rien un lyrisme qui, notamment lors du troisième mouvement, permet un jeu de couleurs émouvant.
L’Orchestre de Paris, puissant et homogène, d’une grande ductilité, offre un son d’une beauté opulente et expressive. Le jeune chef sait en tirer des couleurs dures, parfois très contrastées, qui ne viennent jamais casser la (fragile) ligne mélodique mahlérienne. La dernière mesure s'achève sur un geste charismatique du chef finlandais qui n'a pas le temps de baisser les bras que, déjà, le public applaudit à tout rompre.