Passion selon Saint Jean pour les victimes du 11 septembre au Festival Enescu de Bucarest
Il y a vingt ans, le monde entier restait saisi par les images venues de New York. L'événement qui marqua le début d'un nouveau millénaire est aujourd'hui l'objet de commémorations à travers la planète. Le Festival Enescu de Bucarest ne fait pas exception, et prend part à ce rappel de mémoire, musicalement, comme il se doit. Au programme du concert joué le jour même de ce terrible anniversaire, la Passion selon Saint Jean de Bach est présentée par des spécialistes en la matière : le Chœur et l'Orchestre Bach de Munich. Cette œuvre qui raconte l'histoire de la crucifixion du Christ et sa genèse, vient ainsi évoquer ici métaphoriquement les supplices des innocentes victimes des attentats.
La phalange munichoise, fondée par le claveciniste, organiste et chef d'orchestre, Karl Richter, a acquis sa notoriété internationale grâce aux concerts et enregistrements de la musique du Cantor de Leipzig, surtout des grandes œuvres vocales telles que les Passions, l'Oratorio de Noël et la Messe en si. Leur présence à Bucarest aux côtés de grands solistes allemands et wagnériens, comme Michael Volle parmi d'autres, contribue à la floraison d'un répertoire assez rarement interprété sur les scènes roumaines. La mission de partage artistique européen est ainsi mise en valeur comme l'évoque le chef de ce concert, Hansjörg Albrecht, dans ce Festival qui est à l'affluence musicale de toute l'Europe.
Toutefois, à la différence de son célèbre prédécesseur Richter connu pour la lenteur de ses interprétations, le nouveau Directeur musical de l'ensemble, Hansjörg Albrecht privilégie un tempo assez rapide et énergique. Ce choix s'avère quelque peu risqué car il engendre des décalages entre l'orchestre et le chœur, mais aussi avec les solistes, qui n'ont que très peu de marge pour déployer un phrasé plus expressif.
L'orchestre brille tout de même par sa cohésion cordiale entre les sections, toujours à l'écoute l'une de l'autre (entre chef, choristes ou solistes) et par une sonorité à la fois douce et grave, telle que décrite dans le destin du Christ. En revanche, le chœur est moins équilibré, la prononciation est souvent inintelligible et les soprani se crispent dans les aigus. Les choristes parviennent cependant par la suite à se regrouper en un son plus étoffé et convaincant, avec une fugue joliment contrepointée.
Daniel Johannsen est l'Évangéliste. Son allemand est exemplaire, précis et loquace, avec une palette expressive colorée qui soutient le texte dans les explications du sujet de la Passion. Sa ligne est légère et irradiante, solide en poitrine mais fragile dans les cimes du diapason. Dans les récitatifs plus arioso (s'approchant de l'aria), il tisse des phrases mélodieuses et suaves. Christian Immler (baryton) incarne Jésus de sa voix autoritaire et charnue, mais paisible et légèrement vibrée. La prosodie est claire et bien articulée, le phrasé soigné dans les sections plus calmes et douces, malgré des aigus un peu musclés.
Le wagnérien Michael Volle chante les airs de plusieurs personnages, dont Ponce Pilate. Son appareil est charnu et robuste, les phrases sont bien nourries vocalement avec une prononciation très solide. Sa ligne peu souple peine toutefois à ressortir des ondulations mélodiques dans les vocalises, mais s'améliore dans la deuxième partie de la soirée. Patrick Grahl est un ténor au timbre voûté et tendre (rappelant comment Peter Schreier devint lui aussi reconnu dans ce répertoire et avec ce même ensemble). Il s'attaque à la partition par une sonorité solaire, rythmiquement équilibrée avec une intonation stable et constante. La voix de tête est élégante et l'expression souple : les qualités requises pour la musique vocale de Bach.
Regula Mühlemann (soprano) s'exprime par une voix légère et pointue, conjuguée avec une articulation et un phrasé solides. Néanmoins, ses attaques sont réservées et sa concentration focalisée plutôt sur les notes (et la justesse) et moins sur l'interprétation. Wiebke Lehmkuhl se présente par un alto étoffé et bien projeté. La voix est sonore et bien appuyée, sa musicalité s'épanouissant dans la deuxième partie, après un début plus retenu sur le plan expressif.
La salle de l'Athénée Roumain acclame les artistes et les rappelle plusieurs fois aux saluts.