Véronique Gens et I Giardini dans la Nuit au Châtelet
La parution au printemps 2020 du disque de ce programme de mélodies sous l’égide du Palazzetto Bru Zane avait fait sensation pour sa beauté, mais aussi ses particularités. Effectivement, les pièces permettant de combiner chant et quintette à cordes incluant un piano apparaissent particulièrement rares, en dehors de la Chanson perpétuelle d’Ernest Chausson, morceau mythique du répertoire mélodique que Véronique Gens souhaitait ardemment interpréter : le Nocturne de Guillaume Lekeu extrait des Trois Poèmes du compositeur ou la mélodie du trop rare Guy Ropartz : Ceux qui, parmi les morts d’amour, d’après le recueil poétique L’Intermezzo de Heinrich Heine. Toutes les autres pièces inscrites au programme ont fait l’objet d’une transcription spécifique par les bons soins d’Alexandre Dratwicki, Directeur artistique du Palazzetto.
Cette grande heure musicale entraîne l’auditeur dans les méandres et les étapes de la nuit, du crépuscule aux instants de rêve ou de cauchemar, sans omettre les moments de fête et de plaisir qui peuvent quelquefois surgir. Le Nocturne enveloppant de Lekeu, que vient conclure en un enivrant crescendo la cantatrice sur le mot “lumineuse”, précède L’île inconnue issue des Nuits d’été d’Hector Berlioz. Avec Nuits d’Espagne de Jules Massenet et surtout Désir de l’Orient, texte et musique de Camille Saint-Saëns, c’est l’exotisme vu à l’aune du XIXe siècle post-romantique qui s’expose avec ses sonorités fantasmées, ses raffinements issus d’un monde alors encore lointain.
La Chanson perpétuelle d’Ernest Chausson constitue indéniablement le temps fort du concert. Avec son approche toute de retenue et de délicatesse, mais aussi empreinte d’une juste douleur ou comme enfiévrée, Véronique Gens donne une interprétation idéelle de cette mélodie dont elle magnifie le texte. Elle déploie dans l’ensemble du programme une articulation claire et précise, des trésors de phrasé et d’intelligence esthétique qui transcendent même les mélodies où le texte demeure un peu à la peine. Sa voix de soprano semble n’avoir jamais sonné de façon aussi lumineuse, aussi épanouie qu’aujourd’hui.
Le programme bascule ensuite vers des pièces plus connues et séduisantes, comme La Vie en rose de Louis Guglielmi sur un texte d’Edith Piaf -la cantatrice se fait ici intensément plaisir- et La Dernière Valse fort entêtante de Reynaldo Hahn.
Le Quintette I Giardini qui fêtera bientôt ses 10 ans d’existence déploie en continu tout au long du programme des sonorités à la fois caressantes et d’une rare plénitude d’ensemble, en pleine et entière conjonction avec l’approche de Véronique Gens. Toutes ces qualités s’exhalent par ailleurs dans les morceaux interprétés pour le quintette seul : Orientale de Fernand de La Tombelle avec son thème lancinant et presque extatique, le Quintette avec piano n°1 de Gabriel Fauré ou celui n°1 de Charles-Marie Widor faisant apprécier chacun des membres de cet ensemble de qualité : Pauline Buet, violoncelliste et David Violi, pianiste (les deux créateurs et animateurs de l’ensemble), Shuichi Okada et Guillaume Chilemme, violons et Léa Hennino, alto.
Deux bis forts différents viennent clore le concert : le souriant J’ai deux amants d’André Messager tiré de l’opérette L'Amour masqué, où Véronique Gens révèle un humour certain, puis une des plus ineffables mélodie de jeunesse de Gabriel Fauré, Après un rêve. Avec de tels interprètes, le Palazzetto Bru Zane poursuit avec efficacité et pertinence son exploration de la musique romantique française, notamment (la) moins connue du public.