Revigorant Stabat Mater avec Jaroussky, Scheen et L’Arpeggiata à Sablé-sur-Sarthe
Le programme proposé est constitué du célèbre Stabat Mater de Pergolèse et d’autres pièces italiennes dont plusieurs issues de l’oratorio Maddalena ai piedi di Cristo (Marie-Madeleine au pied de la croix) d’Antonio Caldara, compositeur vénitien prolifique (près de 1500 œuvres dont 90 opéras) qui joua également un rôle important dans l’évolution de la musique viennoise et allemande.
C’est donc la Passion qui réunit les artistes de L’Arpeggiata dans ce programme purement baroque. Outre le Stabat Mater, les airs choisis reflètent une riche palette d’ébranlements d’humeur afin de théâtraliser les textes : la limite entre religieux et profane s’estompe pour une interprétation ardente et exaltée, à l’image des processions de la fête de la Vierge pratiquées dans le sud de l’Italie.
Marie-Madeleine prend vie par la voix intense de Céline Scheen : émouvante dès le premier air, "Per il mar del Pianto mio" (à travers l’océan de mes pleurs), tourmentée dans "Pompe inutili" où ses vocalises viennent perler le chant du violoncelle, bouleversante dans "In lagrime stemprato il cor qui cade" (dissous en larmes, mon cœur s’abandonne), en écho à la ligne de basse symbolisant les larmes de la pécheresse.
Tiraillée entre l’amour terrestre (allégorie du mal) et l’amour céleste (le bien), elle doit choisir. L’amour céleste est interprété par Philippe Jaroussky qui vient apporter une note de légèreté dans l’air "Su, liegi festeggiete" (Allez, fêtez joyeusement) sur un accompagnement dansant rappelant l'un de ces rythmes napolitains qu’affectionne tout particulièrement Christina Pluhar. Mais la joie ne dure pas longtemps avec l’air "Quel buon pastor" extrait de La Mort d’Abel (toujours de Caldara), où le chanteur teinte de couleurs assombries le timbre velouté de sa voix, donnant ainsi une dimension christique à cet air relatant la dévotion d’Abel à son troupeau, qui le pousse à se sacrifier pour le salut de ses agneaux.
La direction souple et à l’écoute de Christina Pluhar est investie mais posée sans jamais trahir d’inquiétude ou de noirceur. Toute la place est faite aux deux voix qui dégagent de leur côté une lecture théâtrale, colorant le récit tantôt haletant, tantôt pathétique de ce poème de la douleur qu’est le Stabat Mater de Pergolèse.
Les neuf instrumentistes ainsi guidés par ce choix esthétique parviennent à faire ressortir à la fois la simplicité et la grande variété stylistique de l’œuvre. La prestation du théorbiste Josep Maria Marti Duran est très remarquée, aussi bien dans la diversité qu’il apporte au continuo que dans l’improvisation qui sert de transition entre les deux parties du concert.
Par la diversité des couleurs, le vibrato nuancé, la voix qui s’enfle ou s’amenuise jusqu’au silence, la souplesse de la ligne mélodique, la voix de Céline Scheen atteint des sommets d’expressivité dans l’évocation des souffrances de la Vierge au pied de la croix. Les sons projetés au timbre centré, quel que soit le registre, expriment la colère (Cujus animam gementem), les sons piano sans jamais décrocher, entrecoupés de silences, laissent percevoir la résignation lorsque son fils rend l'âme (fin du Vidit suum). Ses personnages, Marie et Marie-Madeleine, semblent ainsi sortis des tableaux se trouvant derrière elle dans le chœur de l’église.
Philippe Jaroussky présente toujours son art d’exprimer tant la tristesse que la jubilation. La voix donne corps à chaque mot dans un phrasé impeccable. Il traduit la pudeur de l’émotion contenue comme dans l’air de Haendel "Lascia la spina" concluant la première partie. Cependant, sa voix se heurte à des limites et accuse parfois une émission tendue et des vocalises manquant de fluidité, tout à fait perceptibles dans sa première intervention.
En duo, les voix se mêlent, s’unissent, se répondent absolument. Elles s’accordent pour un récit, tantôt pathétique tantôt haletant, tout en retenue avec des sons filés d’une grande précision avant d’éclater dans un Amen flamboyant.
Le public (en partie constitué de fidèles du Festival) ovationne longuement les artistes qui offrent en bis le duo final du Couronnement de Poppée (“Pur ti miro”), confirmant la complicité qui les unit ainsi que leur bonheur retrouvé après cette période si difficile.