Stabat renv-Hersant par Sequenza 9.3 à Sablé
Sequenza 9.3 dirigé par la cheffe de chœur Catherine Simonpietri est reconnu pour aimer les croisements musicaux et faire dialoguer les répertoires du passé avec ceux d’aujourd’hui. Le concert proposé à Sablé s’articule autour d’œuvres du XVIIIème siècle (Jean-Sébastien Bach mais également Johann Crüger) et d’œuvres contemporaines de Philippe Hersant (né en 1948), partenaire de longue date de l’ensemble. Les liens sont tissés par l’effectif, un genre (le Stabat mater), un compositeur pivot (Domenico Scarlatti) mais également un instrument, la viole de gambe qui sert de trait d’union entre les différentes époques.
Dans le Stabat mater de Philippe Hersant, comme en miroir à celui de Domenico Scarlatti, l’effectif est le même, la disposition scénique pour ce concert également : disposition inhabituelle où les chanteurs sont répartis sur la scène, sans distinction de pupitre. La viole de gambe placée parmi les choristes a un rôle essentiel pour le compositeur : elle n’est plus “simple” instrument de continuo mais dialogue avec les voix. Philippe Hersant explique aimer le rapport entre un instrument soliste et la voix, un peu comme dans un concerto où l’instrument est seul face au tutti (ici le chœur et non l’orchestre). La viole a été choisie car cet instrument englobe l’ambitus de la voix humaine, de la basse profonde au soprano avec un jeu éthéré et des aigus angéliques, moins lyriques que ceux du violoncelle. Les premières mesures de l’Angelus Silesius lui sont ainsi confiées (l’instrument est tenu par Christine Plubeau), avant que n’entrent les basses du chœur bien affirmées, rejointes par les voix de femmes pour la complémentarité. Ce Stabat mater d’Hersant est saisissant dans son langage mêlant des éléments du baroque empruntés notamment à l’œuvre de Scarlatti (de l’emprunt du simple rythme pointé du début jusqu’ à la citation exacte du “Quis non posset”), à des harmonies plus audacieuses provoquant des effets dramatiques. L’écriture vocale alterne des tutti puissants avec des effets de nuances et de registres qui demandent précision et engagement. L’ensemble fait preuve d’un grand sens de l’écoute collective grâce à la direction de la cheffe, qui dit aimer à « construire de la musique vivante pendant le concert en suivant l’intuition sur le moment ». Ainsi construit-elle une musique expressive comme dans la dernière partition où les voix graves et aiguës se fondent progressivement dans un jeu de clair-obscur subtil pour s’évaporer dans un pianissimo conclusif.
Il est de fait dommage de ne pas retrouver autant de cohérence dans la première partie du programme consacrée au baroque, combinant un mélange de styles allemand et italien. Le Stabat Mater de Scarlatti présentant des voix indépendantes au sein d’un unique corpus sonore, justifie certainement en cela la disposition choisie par la cheffe, entraînant des effets inattendus, surprenants, qui demandent une certaine autonomie de la part de chaque chanteur et d’être soutenu par une direction dynamique et précise ainsi que par un continuo assuré (ici constitué d’un orgue et d’une viole de gambe). Même si tous ces critères sont respectés, le résultat accompli dans l’œuvre de Philippe Hersant présente des limites dans la restitution de l’écriture complexe de Scarlatti : l’équilibre entre les voix se perd notamment lors des entrées contrapuntiques, l’ensemble devient confus par une mauvaise gestion des respirations à l’intérieur de cette écriture.
À l’inverse, la dernière pièce de ce programme ambitieux (le motet Jesu meine Freude de Bach) réduit l’effectif à cinq voix solistes, privilégiant la lisibilité et l’intelligibilité du texte. La lecture intimiste n’est jamais simple ni austère, mais cinq solistes sont cinq individualités superposées à la recherche d’une dimension harmonieuse. Cela fonctionne pour certains passages, comme celui fragmenté de silences et pour évoquer la nuit dans un sentiment de légèreté et d’adieu à ce monde. Toutefois, pour d'autres passages, cette dimension harmonieuse se perd par un manque de clarté dans les entrées peu affirmées et une soprano parfois trop individualiste.
C’est un public conquis et reconnaissant qui applaudit généreusement le compositeur Philippe Hersant, présent dans la salle, ainsi que la cheffe de chœur et les chanteurs.