Les Puritains à Gstaad, sans Lisette mais pas sans vedettes
Lisette Oropesa, initialement annoncée, a été contrainte de renoncer durant les répétitions. Sa remplaçante tout comme le reste du casting n’en restent pas moins fort applaudis, tout comme une soirée vécue comme un sommet (du bel canto) parmi les sommets (alpestres).
Il est venu voir Lisette, il a vu Zuzana. Surprise de dernière minute (annoncée la veille) pour le public du Gstaad Menuhin Festival qui, à l’occasion de la grande soirée d’opéra de cette 65ème édition, voit Lisette Oropesa déclarer forfait en raison d’une voix souffrante et se faire remplacer par la jeune Zuzana Marková dans le rôle d’Elvira. Un changement et même deux, puisque Javier Camarena, initialement prévu en Arturo, doit lui aussi renoncer (pour cause de deuil familial), laissant sa place à Francesco Demuro connaissant bien le rôle pour l’avoir notamment interprété il y a deux ans à l'Opéra de Paris en alternance avec… Javier Camarena (notre compte-rendu). Une distribution re-montée à la hâte par les organisateurs du festival suisse, donc, où ces remplaçants ravissent néanmoins un public renouant ici avec les joies de l’art lyrique après une édition 2020 annulée par la pandémie, ravissement d’autant plus grand qu’il s’agit là d’écouter l’une des œuvres majeures (et ultimes) du bel canto.
Un soir pour écouter du beau chant, donc, sous l’imposante tente d’un festival jouant non pas la carte du pass sanitaire mais celle de la jauge réduite, 900 spectateurs s’y retrouvant (au lieu du double en temps “normaux”) sans jamais qu’une impression de vide ne soit ressentie, ce qui doit beaucoup à la majesté et à la configuration du lieu. Quant au programme, il annonce une exécution des Puritains sous le prisme de ses “highlights”, autrement dit de ses plus grandes pages, mais de fait c’est quasiment l’intégralité de l'opéra qui est ici donnée (seuls quelques récitatifs et airs, tel le “Credeasi misera” d’Arturo au III, se trouvant quelque peu réduits en longueur). L’opéra est donc bel et bien là, même sans mise en scène ni même mise en espace, les chanteurs restant tous placés derrière leurs pupitres, exception faite des quelques moments d’étreintes amoureuses et de rapprochements physiques entre Arturo et Elvira.
Elvira, justement, est donc campée par une Zuzana Marková qui, sans doute parce qu’elle a déjà pu endosser ce rôle à plusieurs reprises (à Francfort, Zurich ou Liège), livre une prestation pleine d’assurance et d’allant, oscillant efficacement entre légèreté, gravité et démence. De sa voix richement timbrée et sur le fil d’une ligne de chant expressive, la jeune soprano tchèque se montre d’abord pleine de candeur en amoureuse bientôt mariée, livrant “Son vergin vezzosa” avec enjouement, la voix épanouie dans l’aigu et d’une belle souplesse dans les changements de registres. Puis les choses se gâtent dans les desseins amoureux de l’héroïne, dont l’accès de folie est ici restitué sans grands effets dramatiques (l’absence de mise en scène n’aidant pas) mais avec crédibilité malgré tout dans l’incarnation de la lamentation. L’enchaînement du “Qui la voce” et du “Vien diletto” est un défi ici relevé avec brio, nourri par un phrasé délicat et par une voix d’autant plus lumineuse et éclatante à mesure qu’elle se rapproche des cimes de la tessiture (le suraigu ayant en revanche tendance à être trop forcé, la délicatesse d’émission s'effaçant devant la seule sonorité).
La prestation de Francesco Demuro est également remarquée : Arturo séducteur et fougueux, il s’acquitte aisément et généreusement de ses grands airs. La voix du ténor italien est quelque peu nasale en intonation, elle n’en demeure pas moins joliment colorée, ample et émise avec une notable délicatesse. Généreux en gestuelle comme en projection, le ténor atteint vaillamment les sommets de la tessiture.
Un match de barytons
Mais si les deux rôles centraux sont donc savamment interprétés, le Riccardo et le Giorgio du soir sortent davantage encore du lot. Le premier rôle est porté par l’impeccable George Petean, qui déploie ici un baryton tout en fusion et en ténébrosité, sur une ligne de chant aussi ample que ronde et sonore en émission. Avec une projection déconcertante d’aisance et un legato soigné, le baryton roumain indique dès le début de l’ouvrage le droit chemin d’une inaltérable prestance. Charismatique, Erwin Schrott l’est tout autant en Giorgio. Voix profonde et projetée avec ardeur, timbre clair et pénétrant, tout concourt à la qualité d’une prestation dont le “Cinta di fiori” constitue un enivrant apogée. Poussé par des triomphales trompettes, le fameux et guerrier duo de l’acte II, “Suonni la tromba”, sonne comme un duel de barytons dont ne ressort qu’un seul vainqueur : l’art du beau chant dans toute sa splendeur.
Dans les rôles secondaires, Antonio di Matteo use lui aussi d’une voix pleine de profondeur, son instrument de basse caverneux seyant pleinement au court rôle de Gualtiero. La mezzo Annalisa Stroppa est une Enrichetta tout aussi valeureuse, de sa voix chaude projetée avec clarté et assurance. Patrizio Saudelli, en Bruno, se trouve davantage en retrait (et peu sollicité il est vrai), sa voix de ténor claire de timbre se faisant moins sonore que les autres en ce soir de feu d’artifice vocal.
Face à l’absence de mise en scène (que ne comble guère la diffusion en fond de scène d’images animées de château, d’église ou de forêt), c’est sur l’orchestre qu’il faut compter pour la restitution des différentes ambiances, qu’elles soient festives, guerrières ou angoissantes. À ce titre, l’Orchestre de la Suisse Romande se montre impeccable, tous les pupitres se trouvant traversés par un même vent d’énergie et d’éloquence musicale. Seul hic : des nuances parfois trop peu nuancées, précisément, et qui en viennent par moments à couvrir les voix.
Baguette en mains, et sans cesse attentif aux chanteurs situés dans son dos, le maestro Domingo Hindoyan, de ses gestes amples et précis, parvient à extraire toute la moëlle musicale de son orchestre (et notamment de ses cuivres aux sonorités capiteuses) ainsi que du chœur de la Zürcher Sing-Akademie, qui répond présent au rendez-vous du volume sonore et de la force expressive. En toute logique, des applaudissements nourris viennent conclure cette soirée d’opéra dans un festival marqué du sceau de l’excellence.