Ravel a cappella par Les Métaboles à Vézelay
Sans doute par la recherche d’authenticité et la consolidation d’une pensée puriste de l’interprétation musicale, la retranscription n’est plus un procédé très habituel, alors qu’il était courant jusqu’à l’ère contemporaine. Face au développement des ensembles vocaux en France, la demande d’un catalogue de chefs-d’œuvre pour le répertoire a cappella appelle de nouveau ce procédé essentiel. Les Métaboles en sont un important exemple, diffusant des transcriptions déjà créées par d’avisés compositeurs-transcripteurs tels Thierry Machuel, Gérard Pesson ou Clytus Gottwald, ou en commandant de nouvelles auprès de Thibault Perrine. En collaboration avec la Cité musicale de Metz, l’ensemble propose ainsi une redécouverte de l’œuvre de Maurice Ravel, autour de ses Trois chansons pour chœur a cappella.
C’est avec la création mondiale de la retranscription de la Pavane pour une infante défunte pour chœur à quatre voix mixtes par Thibault Perrine, sur le sublime poème Belle qui tiens ma vie de Thoinot Arbeau, que débute le concert de ce soir, en la fastueuse Basilique de Vézelay. La direction de Léo Warynski se débarrasse de tout superflu, suggérant par ses gestes souples et ronds la matière sonore du chœur, elle-même très ronde, moelleuse. Dans l’acoustique généreuse de la basilique, la prononciation des textes et la précision des attaques semblent d'abord souffrir de cette recherche prioritaire de la beauté du son. Petit à petit, les artistes du chœur prenant de l’assurance, ces légers défauts s’amoindrissent. À plusieurs moments, l’auditeur est happé par de délicieuses harmonies colorées avec grand soin, comme la nuance piano proposée sur « Que l’amour qui m’époint décroisse d’un seul point ». L’auditeur est transporté par les couleurs évidemment féériques du Jardin féérique de Ma Mère l’Oye, dont la conduite globale des dynamiques est pensée de manière progressive jusqu’à la note finale, puissante mais absolument pas écrasante. Le contre-ré de la soprano Anne-Claire Baconnais a la qualité rare (voire incroyable pour de telles hauteurs) de mener, sûr et fin, vers la partie cadentielle (conclusive). Le pianissimo éthéré de « Toi, le cœur de la rose » extrait de L’Enfant et les Sortilèges, hypnotise. Les couleurs qui sont proposées sont comme du pastel avec effet aquarelle, légères et transparentes, mais dans une performance tellement intense qu'un des sopranos en tombe. La frayeur passée (et la chute étant en fait due à une indisposition), Amandine Trenc reviendra quelques temps plus tard, rejoignant l’ensemble en restant assise pour assurer sa partie, particulièrement importante pour "La flûte enchantée", retranscription de Shéhérazade. Malgré sa grande fatigue, la chanteuse fait entendre une voix cristalline, légère et agile comme une flûte. Pour les Trois chansons pour chœur a cappella dont la musique et les textes sont de la main même de Ravel, la soprano Lorraine Tisserand intervient en soliste sur Trois beaux oiseaux du Paradis, sur un beau tapis du chœur et quelques échos, faisant entendre une voix lumineuse et très tendre.
Pour final, Les Métaboles offrent en création mondiale la retranscription du Boléro pour 16 voix mixtes par Thibault Perrine. Le choix laisse d'abord interrogatif quant à la possibilité de transcrire pour voix seules une œuvre dont toute la saveur est l’instrumentation. Certes, l’ostinato rythmique (figure répétée) paraît d’abord un peu irrégulier, mais il gagne néanmoins en assurance au fil de l’œuvre. La fin de la deuxième phrase mélodique est cependant toujours trop basse dans les registres pour bien sonner et l’endurance nécessaire à cette longue œuvre fait parfois craindre à une baisse notable de justesse. Toutefois, Les Métaboles valorisent le travail de retranscription, réussissant tout de même à reconstituer certains timbres des instruments, comme les « wah wah » de cors par les ténors, également complétés par de la percussion corporelle. Les harmonies riches, avec octaves et quintes, fonctionnent très bien grâce aux voix féminines, dont les parties sont quasiment individuelles. La fin magistrale, sur un coup de pied collectif, arrache les bravi et l’ovation d’un public enthousiaste. Bien qu’appréciant en bis le Jardin féérique, qui avait fait l’objet d’un clip lors du premier confinement, le public redemande le Boléro. Léo Warynski cède et donne le dernier cinquième de l’œuvre, avec un tempo un rien pressé et un ostinato vraisemblablement fatigué, mais ne manquant pas d’enthousiasme partagé !