Un oratorio pour l'oratorien Saint Philippe Néri au Festival de La Chaise-Dieu
Violoniste et Directeur musical de l'ensemble baroque Les Accents, Thibault Noally poursuit son projet de résidence au Festival de La Chaise-Dieu consistant à redécouvrir des oratorios oubliés d'Alessandro Scarlatti (1660-1725), l'un des plus grands compositeurs de son temps, notamment à Naples et Rome. Ce projet, initialement conçu en 2017 et premièrement réalisé en 2019 avec Il Martirio di Santa Teodosia (Le Martyre de Sainte Téodosie : notre compte-rendu) voit sa continuation par l'oratorio consacré à Saint Philippe Néri, et sera achevé l'an prochain par une troisième œuvre de ce genre.
Figure majeure du catholicisme et "deuxième apôtre de Rome", Néri est le fondateur de l'ordre des oratoriens. Ce projet de concert représente ainsi un double hommage à l'oratorio, et l'importance de ce concert est confirmée par le fait qu'il s'agisse d'un des rares événements reportés de l'édition malheureusement annulée en 2020 du Festival.
La dramaturgie de l'œuvre (livret écrit par le Cardinal Pietro Ottoboni) met en scène Saint Philippe Néri tourmenté par les doutes en sa foi et son amour pour le Christ. Il questionne son chemin de bon chrétien, les passions amoureuses qui l'éloignent de la pénitence et de la prière, rappelant qu'un Homme saint n'est qu'un homme, après tout. Cependant, les allégories telles que la Foi, l'Espérance et la Charité le réconfortent et rappellent ses vertus, tout en lui indiquant la voie vers laquelle orienter et transformer sa passion en amour de Dieu. Sur le plan musical, cet oratorio présente globalement une absence de drame véritable, foisonnant surtout d'optimisme malgré des petits éclats de tension musicale qui surgissent épisodiquement dans les récitatifs ou dans quelques airs (la lutte intérieure du protagoniste ou bien l'esprit guerrier de la Charité, par exemple).
Le ténor italien Anicio Zorzi Giustiniani endosse le rôle-titre avec beaucoup d'énergie. Il s'applique pleinement dès la première note et apporte une couleur spécifiquement italienne à son personnage florentin et romain, fils d'Italie (un fait accentué dans le livret). Par conséquent, la prononciation du texte (chanté en italien) est sans faille et assez éloquente, colorée par un timbre rond et lumineux. Il ne manque pas d'afficher sa palette d'émotions et d'expressions, mais un léger excès de vibrato dessert sa projection sonore et le phrasé.
Paul-Antoine Bénos-Djian (contre-ténor) incarne La Foi qui secourt moralement Néri pour se relever dans sa croyance. Il domine le plateau par une voix charnue et chaleureuse, à l'instar de son personnage. Ses vocalises bien assurées s'appuient sur une technique solide avec un long souffle qui lui sert de bonne base pour déployer sa riche expression musicale. Ses ornements sont empreints de beaucoup de finesse, stylistiquement en place et rythmiquement précis.
Blandine Staskiewicz chante la partie de la Charité pleine de l'élan belliqueux que son personnage exige. Elle déploie une couleur très radieuse, exploitant ses aigus à plein, avec habileté et une émission qui fait retentir sa voix partout dans l'espace. Néanmoins, les cimes de son diapason (les suraigus) sont un terrain glissant où la justesse vacille et le texte prononcé devient moins compréhensible. Les mélismes sont pourtant entonnés avec élégance et vigueur.
Sa collègue Anthea Pichanick dans le rôle de l'Espérance déploie son contralto avec une assurance et une maîtrise souveraines. Le son est rond et peu sombre, avec des graves bien appuyés et charnus. Son italien est clair et sonore, tandis que la projection s'avère bien dosée et en symbiose constante avec l'ensemble instrumental.
Ce dernier, dirigé par Thibault Noally, établit un tissu sonore justement proportionné et offre un accompagnement fertile pour les exploits des solistes. La direction est pleine d'ardeur et de détermination, mais le jeu de premier violon de ce chef n'est pas moins appliqué : le duo de violon avec son homologue soliste est particulièrement remarqué et réussi.
L'allégorie de la Charité conclut l'oratorio sur un air guerrier et énergique, pour redonner espoir et élan après la mort de Néri. Le public éclate en applaudissements et rappelle à plusieurs reprises les artistes sur la scène de l'abbatiale Saint-Robert de La Chaise-Dieu.