Judith van Wanroij à Limoges, pour le meilleur et pour l’Empire
Dans le cadre de son festival d’été « improvisé » (regroupant une grande partie des spectacles n’ayant pu être joués ces derniers mois à cause de la crise sanitaire), l'Opéra de Limoges propose un concert baptisé « Victoires », visant à mettre en lumière les évolutions connues par l'opéra sous Napoléon Ier, au tournant des XVIIIe et XIXe siècles.
Évolutions et révolutions, notamment au début du Premier Empire où la France, déjà riche de compositeurs talentueux (Lesueur et Méhul en tête), découvre aussi l’école italienne après les conquêtes napoléoniennes. Et l'Opéra de Paris d’ouvrir ainsi ses portes à des compositeurs tels que Cherubini, Spontini ou encore Paisiello, héritiers de Vivaldi et proches précurseurs de Verdi, et dont l’exécution des airs de bravoure nourrit alors la rivalité que se livrent les deux grandes cantatrices de l’époque, Mademoiselle Maillard et Caroline Branchu (laquelle finit par obtenir les faveurs exclusives de l’Empereur, dont il se dit qu’il ne fut pas seulement séduit par les arguments vocaux de l'intéressée). Mais le romantisme italien est passé par là, et le temps aussi, nombre de ses compositeurs étant aujourd’hui tombés dans un oubli partiel ou total, ce qui vaut pour les Italiens autant que pour les Français que sont Hyacinthe Jadin, Pierre Baillot ou Jean-Baptiste Lemoyne.
Opération « renaissance »
C’est ainsi ce riche répertoire que le Palazzetto Bru Zane s’attache ici à remettre en lumière, s’appuyant pour ce faire sur des artistes fidèles et prêts à explorer ces terres méconnues. C’est le cas, pour cette soirée limougeaude, de la soprano Judith van Wanroij et du quatuor Cambini-Paris, qui se substitue ici aux orchestres d’alors dans cette opération « renaissance » de quelques-uns de ces grands airs oubliés. Une cantatrice et des instrumentistes qui allient parfaitement leurs talents respectifs, consistant pour la première en une voix ample et sûre en émission, chaudement timbrée, et pour les seconds en une musicalité virtuose et en une pleine force expressive faisant d’eux des acteurs de la trame lyrique bien plus que de simples accompagnateurs.
En Médée (Médée et Jason De Fontenelle, air « Bannissons, mes chers fils »), en Selime (La Mort d’Adam de Jean-François Lesueur, air « Il lira dans mon coeur »), en Corinne (Anacréon de Cherubini, air « Jeunes filles »), en Didon (de Piccini, air « Non ce n’est plus pour moi ») ou encore en Phèdre (de l'opéra du même nom de Jean-Baptiste Lemoyne, air « Il va venir »), la cantatrice entre en parfaite fusion avec le quatuor, en alliant habilement puissance et prestance vocales et en ne cessant jamais d’être pleinement impliquée dans l’incarnation de ses rôles. Une implication sublimée par une voix aux riches couleurs et au legato subtil, et par une sensibilité évidente portée au texte (manifestée par des traits de visage ici graves et fermés, là ouverts et rayonnants). Un constat qui vaut aussi pour les incarnations de personnages issus d'opéras légèrement moins oubliés, tels La Vestale de Spontini (air de Julia, « Toi que je laisse sur terre »), Les Danaïdes de Salieri (air d’Hypermnestre, « Par les larmes dont votre fille »), ou encore Iphigénie en Aulide de Gluck (air d’Iphigénie, « L’ai-je bien entendu »). Là encore, et portée par l’énergie de son « orchestre » du soir, Judith van Wanroij est saisissante de justesse, de sincérité et d’investissement, la pureté et la rondeur de son timbre achevant de rendre l’écoute délicieuse.
Exquises, les interprétations du quatuor Cambini-Paris le sont tout autant dans ces pièces écrites pour leur dimension et qui trouvent là aussi l’occasion d’une renaissance bienvenue. C’est le cas des quatuors de Pierre Baillot ou Hyacinthe Jadin, de si riche composition et d’une telle beauté musicale qu’on en vient à se demander comment de telles pièces peuvent ne pas être jouées plus souvent. Les instrumentistes du quatuor (Julien Chauvin et Karine Crocquenoy au violon, Pierre-Eric Nimylowycz à l’alto, Atsushi Sakaï au violoncelle) s’en régalent, en tout cas, dans un même élan de plaisir communicatif : les attaques sont dynamiques, les coups d’archets généreux et bondissants au besoin, la coordination soignée au millimètre. La gymnastique de la main gauche, notamment dans l’interprétation des mouvements Agitato ou Presto (d’un style semblant opérer comme une fusion entre les périodes baroque et classique), est parfaitement exécutée elle aussi, et n’appelle que les appréciations les plus élogieuses. Une virtuosité et une technique experte qui récoltent de justes applaudissements, lesquels s’adressent tout autant, évidemment, à celle qui, en une soirée, aura exhumé tant de rôles avec une même souveraineté vocale. Napoléon, assurément, aurait apprécié.